Il y a, des fois, des plans qu’on tire sur une comète, en n’imaginant pas une seule seconde qu’il peuvent se réaliser. L’un d’eux était partager une bière avec R. J. Ellory, un auteur britannique que j’aime particulièrement.
Aussi, est-il vraiment nécessaire de préciser à quel point nous avons eu de la chance quand, accompagné de Robin, membre de l’équipe Sonatine, sa maison d’édition française, il a accepté une rencontre privilégiée au bar Le Dandy de Lyon, dans le cadre du festival Quais du polar ?
Peut-être.
Et cette rencontre me laisse, personnellement, encore des étoiles dans les yeux.
Mais laissez moi commencer ce portrait par une petite histoire, racontée à la manière d’un conte de fées.
Il était une fois, un jeune auteur, qui n’en était pas à sa première tentative de publication. Après avoir enchaîné les difficultés et mis l’écriture de côté, il rédige 3 manuscrits, qu’il envoie à 36 maisons d’édition. 35 lui donneront une réponse négative. Il ne reste donc qu’un éditeur. Dans un film d’action/catastrophe, il serait celui qu’on appelle : “le dernier espoir”.
Dans l’équipe éditoriale, il y a un homme, jeune, venant tout juste de prendre son poste. Il lit l’un des manuscrits et a une révélation. Ce manuscrit, qu’il venait de lire, DEVAIT être publié. Il a donc appelé l’auteur pour échanger autour de son livre et lui dire qu’il allait en parler à la direction. Depuis ce jour, toutes les deux semaines, cet auteur appelait cet homme qui lui répondait inlassablement “j’ai besoin d’encore un peu de temps…”.
Quelques mois plus tard, l’équipe éditoriale commence à être intéressée également. Ne restait que le boss final. Le décisionnaire. Le grand chef. Qui était d’ailleurs sur le point de partir en vacances, mais avec le manuscrit.
A son retour, le jeune employé lui a demandé ce qu’il pensait du livre, ce à quoi le directeur lui a répondu qu’il ne l’avait pas lu car l’ensemble était trop lourd pour son bagage et qu’il avait dû s’en séparer.
Car oui, il faut savoir que cette histoire se passe à la fin des années 90. Les e-books n’existaient pas et il fallait emmener la liasse de papier composant le manuscrit pour y avoir accès.
Le jeune employé a alors répondu que l’auteur attendait une réponse depuis quelques mois et que, par respect pour lui, il fallait une réponse. Décision du directeur : Non.
Et alors que tout espoir semble perdu, le jeune employé a sorti sa propre carte de son portefeuille en annonçant à son patron que si ce dernier ne faisait pas un contrat à l’auteur, il allait le faire avec son propre argent.
Le directeur lui a alors posé une question : S’il devait choisir entre publier ce livre ou garder son emploi, que choisirait il ?
La réponse de l’employé fut simple. Il avait été recruté pour trouver des livres. Donc il choisirait de publier ce livre ET de garder son travail. Devant son enthousiasme, le directeur céda et offrit à l’auteur un contrat pour le roman.
L’employé s’appelle John, et sans le savoir, il venait de permettre à un auteur nommé R. J. Ellory de publier son premier roman en Angleterre. Et l’histoire qu’il vient de vous raconter à travers cet article n’est autre que celle de la naissance de Papillon de nuit.
L’histoire ne s’arrête cependant pas là pour ce premier roman. Présenté à la foire du livre de Francfort, il a été traduit ensuite en néerlandais, en italien et en allemand, apportant des bénéfices avant même sa publication en Angleterre, et permettant à son auteur de remporter un contrat pour deux autres romans : Les fantômes de Manhattan et Vendetta.
Ce troisième roman possède d’ailleurs une origine toute aussi palpitante, car sa publication intervient après l’écriture d’un manuscrit finalement non publié. A cette époque, l’auteur et l’éditeur sont en discussion pour trouver un titre à ce projet qui n’en avait pas encore. Et à la fin de cette réunion, lors d’une discussion totalement banale, R. J. annonce que, pour son prochain, il souhaiterait écrire un roman sur la mafia, et transmet une vingtaine de pages déjà écrites à son agent. Quelques jours plus tard, il reçoit un appel lui indiquant qu’ils veulent publier le livre sur la mafia, en priorité, avant le manuscrit initialement prévu et déjà rendu par l'auteur avant la date butoir.
MAIS, il y a un HIC. Pour publier ce fameux livre, il ne lui reste que deux mois pour l’écrire.
Challenge accepted !
Cumulant dans le même temps deux emplois, il enchaîne les nuits de quatre heures et parvient à rendre dans les temps et à faire publier le manuscrit de Vendetta.
C’est, à ce jour, son livre le plus long. Écrit dans le délai le plus court.
En parlant d’écriture, justement, R. J. Ellory base la sienne sur 3 décisions.
Il commence par définir une idée très basique de l’histoire, souvent en une seule phrase. Puis il décide du lieu et de l’époque dans lesquels situer son intrigue. Comme il le dit lui-même, “On n’écrit pas de la même façon Seul le silence, qui se passe dans le sud des Etats-Unis au cours des années 30, et Les anonymes, qui se passe en 2006 à Washington”. Et enfin, il décide de l’émotion qu’il veut provoquer chez le lecteur. Pour laquelle il a d’ailleurs remarqué que ce n’était pas forcément celle que ce dernier allait réellement recevoir.
Et une fois ces décisions prises, il se lance dans l’écriture. Sans plus de plans, de synopsis, ou même de la moindre idée de comment se terminera l'œuvre. De la même façon qu’il se lance sans recherches préalables, car il ne sait tout simplement pas ce qu’il doit chercher.
Il nous explique ça à travers l’exemple de Vendetta.
Dans ce récit, le personnage traverse 10 villes différentes. Et il a traité chaque ville indépendamment les unes des autres, se demandant seulement à la fin de chaque “partie”, laquelle allait être la suivante. Une fois la destination trouvée, les recherches commencent pour trouver LE point de détail, la petite anecdote qui rend cette ville spéciale et tenter de l’intégrer au récit.
Je suis maintenant à un stade de l’écriture de cet article où je me remémore cette rencontre, et où je me rends compte que, certes, je parle de R. J. Ellory. Mais qu’est ce qui rend cet homme si spécial ?
Au final, je vous ai livré deux anecdotes liées à ses romans et un court aperçu de sa méthode d’écriture, mais, pas une fois, je n’ai parlé de l’Homme.
Comment Roger Jon est devenu Ellory ?
Bien que son histoire ne démarre pas dans la joie, avec un père ayant disparu avant sa naissance et une mère décédée durant son enfance, le jeune Roger Jon se lance dans l’écriture intensive à la fin des années 80. Ainsi, entre 1987 et 1993, il écrira 24 romans pour lesquels il collectera plus de 600 lettres de refus. Parmi les raisons invoquées, le fait qu’un livre sur les Etats-Unis écrit par un Anglais ne se vendra pas. Même son de cloche outre-Atlantique, lors de ses tentatives chez un éditeur New-Yorkais. Il a alors mis l’écriture de côté pour la reprendre au lendemain du 11 septembre.
L’attentat du World Trade Center lui aura permis de prendre conscience, à travers diverses réflexions, de la fragilité de la vie. Il nous explique ainsi avoir réfléchi à “ces gens qui étaient partis travailler et qui ne rentreront jamais chez eux. A cette femme qui n’avouerait jamais à son mari qu’elle est enceinte ou à cet homme qui n’a jamais osé proposé un rendez-vous à une fille qu’il voyait tous les jours”
Il s’est alors rendu compte que l’écriture était l’activité dans laquelle il s’épanouissait le plus. Commence, alors, l’aventure Papillon de nuit, qui ouvre cet article.
Il est aujourd’hui auteur de 15 romans traduit en français. Et à travers toute son œuvre, la même constance sur des personnages humains très réalistes, tant dans leurs sentiments que dans leurs réactions. Comme s’il connaissait à la perfection l’être humain et pouvait se glisser dans la peau de l’homme autant que de la femme ou du mafieux autant que du flic.
Alors il nous parle de son amour de la lecture de livre de philosophie, d’Histoire et de psychologie… Il écrit beaucoup de polars, mais en lit finalement très peu. Et il conclut notre rencontre sur l’évocation de son envie de créer des personnages les plus humains possibles, en y greffant une petite anecdote sur une séance de dédicaces pour son livre Les anges de New-York.
Encore aujourd’hui, à l’heure de mettre le point final à cet article, je repense au chemin que j’ai parcouru de manière personnelle. En tant que bookstagrammeur isolé et à travers ce que le Quartier Noir me fait vivre. Et le 31 mars 2023, j’ai pu cocher une case que je n’aurais jamais cru cocher un jour : Partager un verre avec R. J. Ellory.
Une expérience incroyable, un moment hors du temps, que je voudrais revivre encore et encore. Et quand je vois le nombre de livres qu’il me reste à rattraper de cet homme, j’ai maintenant la certitude que la probabilité d’une nouvelle rencontre de ce type augmente à chaque instant.
Encore un grand merci à R. J. Ellory pour sa sympathie et à Robin pour l’organisation de ce petit moment privilégié !
Je suis intéressé par les personnages qui sont vraiment humains. Et j’ai une anecdote que je n'oublierai jamais. Quand j’ai écrit Les anges de New York, j’ai créé un personnage, appelé Frank Parish. Un détective torturé, un peu perdu dans sa vie.
Un jour, je participais à une séance de dédicaces et, à la toute fin, quand tout le monde était partit, une femme est venu me voir. Et elle est venue me demander si elle pouvait me poser une question. Je lui ai dit “Bien sûr, qu’est ce que vous voudriez savoir?” Sa question était: “est-ce que Frank va bien?”. Je lui ai alors répondu que c’était un peu compliqué pour lui.On a discuté de lui pendant un petit moment et, au moment de partir, elle m’a simplement dit “vous lui donnerez mes sincères salutations, quand vous le reverrez”.
Sur le moment, je crois que c’était le plus beau compliment qu’on puisse faire à un auteur. Lui dire que son personnage, qu’il a créé de toute pièce, vous a marqué et vous accompagne encore maintenant.
Aujourd’hui, je ne me considère pas comme un homme riche. Mais j’ai une maison, j’ai pu élever ma famille et j’ai la chance de vivre de ce que je veux faire. J’ai écrit pour la télévision, pour le cinéma et j’ai un groupe de musique.
Le plus important, à mes yeux, ce n’est pas que vous vous rappeliez du titre du livre. Ce n’est même pas important que vous vous rappeliez de mon nom. Mais j’espère, à travers mes histoires, que vous vous rappellerez du livre que vous aurez lu, juste en le regardant.
- Roger John ELLORY-
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