Quartier Noir : Bonjour Cyril, est-ce que, pour commencer, tu pourrais te présenter et nous parler de ton parcours d’écriture?
Cyril Carrère : Alors je suis Cyril Carrère, auteur de thriller qui vit au Japon et mon parcours d’écriture est une longue histoire. En fait, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit. Le vrai cap a été de partager les écrits. Je l’ai fait en 2017, sur une plateforme d’écriture qui s’appelle Fyctia. Il y avait un concours d’écriture de polars qui avait été remporté l’année passée par Vincent Hauuy, avec le tricycle rouge. Du coup, je me suis pris au jeu, on partageait des chapitres au fil des jours. J’ai eu la chance de faire partir des finalistes avec ce qui allait devenir Grand froid. Je n’ai pas gagné, mais ça m’a permis d’attirer des éditeurs qui m’ont publié et j’en ai profité pour publier mon premier roman, Le glas de l’innocence, qui se passe au Japon. Ils ont été publiés à deux ou trois mois d’intervalle.
C’était avant ou après ton départ au Japon?
J'ai d'abord publié je suis parti ensuite, en ne sachant pas que j’allais être lu et que j’allais avoir ce succès qui me permettrait de revenir en France pour faire des salons. Grand froid a été beaucoup mis en avant, et à l’époque, c’était celui qui était le plus abouti. J’ai signé chez Cosmopolis, un éditeur qui avait réussi à recruter pas mal d’auteurs comme Cédric Sire, Solène Bakowski, Jacques Saussey… Chez eux est sorti le Quatrième rassemblement en 2020. C’était un lancement un peu chaotique parce qu’entre deux vagues de Covid qui ne m’ont pas laissé l’occasion de vraiment le défendre. En tout cas pas avant 2021, au festival sans nom de Mulhouse. Un an plus tard donc. Je suis ensuite parti de Cosmopolis, et c’était une période un peu compliquée parce que je n’avais pas de nouveauté, j’étais au Japon donc j’étais loin et un peu déconnecté de tout ça.
Ça a été compliqué de retrouver un éditeur derrière ?
Un peu, parce que j’étais dans l’écriture de ce qui allait devenir Avant de sombrer. Il me fallait d'abord le terminer et le présenter sous son meilleur jour. La recherche d'éditeur a été assez chaotique. Covid, envol du prix du papier ont fait que les éditeurs ont restreint leur catalogue. Ensuite, j’ai eu la chance de tomber sur Denoël, qui était à la recherche de nouveaux textes et qui m'a lu quasiment tout de suite. J'ai ensuite passé l’année 2022 à préparer la sortie. J’ai fini le texte en septembre et il fallait compter six mois environ entre la fin du travail éditorial et sa parution. Et pour l’instant, je suis très content de ce que j’ai fait avec eux.
Mais là, pour l’instant, tu n’as que des grands formats, pas de poche?
Malheureusement non, pas de poche à ce jour. Avant de sombrer (Denoël), ainsi que Grand froid et Le quatrième rassemblement (Chambre noire) sont en grand format. J’aimerais bien pouvoir sortir des poches et en profiter pour rééditer Le glas de l’innocence.
Malgré tout, Avant de sombrer va sortir en poche au printemps prochain chez Folio. Concernant les anciens, ils sont en cours de lecture. Je croise les doigts.
Pourquoi ne pas le ressortir chez Chambre noire, du coup, Le glas de l’innocence?
Pourquoi pas. On en a discuté il n’y a pas longtemps et oui, c’est une possibilité. C'est un roman qui me tient à cœur.
Et côté nouvelles, tu en as écrit aussi?
Oui, c’est vrai que je n’y pense jamais, mais j’ai participé à quelques recueils de textes. J’ai publié Inévitable dans un groupe sur Facebook (Thriller et vous). J’ai aussi publié Erin, une forme de préquel au Quatrième rassemblement, mais qui est né après le roman. Je regrettais de ne pas avoir plus développé ce personnage, donc j’ai profité d’être dans ma petite bulle au Japon pour en profiter. Et j’ai écrit Manifesto qui est sorti l’année dernière dans un projet particulier qui s’appelle N, porté par Jérémy Bouquin. Le concept, c’est que N est un criminel dont l'identité et les motivations sont inconnues, et qui échappe à tout le monde. Un peu comme un fantôme de l’ère moderne. Chaque auteur sollicité devait écrire un texte et proposer sa propre version de N. Chez moi, ça se passe au Japon et on retrouve Hayato Ishida, un personnage de mon premier roman. C’était une bonne opportunité de le remettre en scène (vous verrez bientôt pourquoi) et je me suis bien amusé avec ce texte.
Et pourquoi avoir choisi de te focaliser sur le registre du thriller?
Ah, c’est drôle, parce qu’on m’a justement posé cette question ce weekend en dédicace. Le thriller, pourquoi ? Déjà, parce que c’est le genre que je lis le plus. C'est aussi une façon d’écrire, des thèmes plus sombres que l’on peut aborder, une construction particulière, permettant par exemple de manipuler son lecteur... C'est ce qui me plait, mais je ne m'interdis pas de tenter d'écrire dans un autre registre plus tard.
Ce qui est bien avec toi, c’est que tu arrives aussi sans arrêt à te renouveler.
J’essaie de mettre un point d’honneur à ça. Changer de sujet, de contexte, de personnages… L’écriture d’une série, c’est intéressant, mais ça demande de travailler à la fois l’intrigue et l’histoire des personnages au-delà du roman. C’est plus chronophage. Je préfère ce côté one-shot. Tu écris un roman et tu passes à la suite. Mais il ne faut jamais dire jamais...
Avec ton personnage japonais?
Oui, parce que c’est le personnage de mon premier roman, qui n’a pas été trop diffusé, mais qui a plutôt plu aux lecteurs. Et il y a matière à développer le côté Japon, notamment sociétal. J'ai dans la tête, pour accompagner ce protagoniste, le personnage d'une femme, née en France, mais officiant au Japon. Ça va permettre de parler de la place de la femme dans la société, tout autant que dans la police japonaise, mais aussi de prendre le point de vue d'un occidental intégré dans ce pays, ce qui est un peu mon cas. Je pense pouvoir beaucoup m’amuser avec ça, tout en faisant découvrir le pays.
Comment ça se passe ton travail éditorial chez Denoël? On t’impose des choses ou t’as beaucoup de liberté ?
C’est un travail en entonnoir. D’abord une phase très générale sur le texte, avec un retour très global où on se focalise sur l’intrigue. Ensuite, on travaille les personnages, la cohérence... avec une réécriture si besoin, incluant l'ajout ou le retrait de scènes. On s'attarde aussi sur la construction, le style... Dans l'ensemble, j'ai quand même beaucoup de libertés, on est dans un processus d'échange, d'argumentation et de décision constant. C’est un travail d’orfèvre et j’ai énormément appris avec Denoël là-dessus.
Côté processus d’écriture, tu as un plan ?
Pas vraiment. Pour Grand froid, j’ai déjà eu l’idée de la fin et j’ai travaillé à l’envers. J’ai dû déconstruire mon intrigue. Le quatrième rassemblement, c’est l’inverse. J’ai eu l’idée du début et une vague idée de la fin. Je savais où j’allais, mais pas comment. Pour celui-ci, ce sont vraiment les personnages qui m’ont guidé. J’ai moins réfléchi à l’intrigue. Et pour la petite histoire, j’ai travaillé en Angleterre pendant 6 ans dans le pharmaceutique. L’entreprise a fermé et on s’est tous retrouvés éclatés dans le monde, dont certains en France, en Suisse… On s’était dit que chaque année, début septembre, on se retrouverait dans une capitale européenne. On avait appelé ça les rassemblements. Et tout est venu de là. Chaque personnage est inspiré d'un de mes amis. Concernant Avant de sombrer, j’avais une idée de la thématique que je voulais explorer, celle des faux souvenirs. Comme je suis scientifique à la base, j’ai fait énormément de bibliographie, de recherches, afin de bâtir mon intrigue. J’ai aussi voulu me baser sur ma propre expérience dans le domaine des essais cliniques. Je voulais parler de ce sujet qui fait froid dans le dos quand tout dérape, car au final, on ne sait pas grand-chose de ce monde-là. Pour conclure sur ce point, je dirais que j’ai beaucoup évolué avec mes textes. Chaque roman est différent dans sa genèse.
Il y a des choses que tu t’interdis d’écrire ou pas forcément?
Je vais dire non, mais pas parce que je me l’interdis. Plutôt parce que je n’y ai pas pensé. Sinon, il y a quand même les enfants, qui est un thème difficile, que j'aimerais aborder mais pour lequel je dois me préparer. C'est peut-être une question de maturité d’écriture...
Quand est-ce que tu écris ? Parce qu’auteur n’est pas ton métier à plein temps donc tu dois trouver du temps dans ta journée, j’imagine?
La journée française ou japonaise? (rires) Non, je pense que le moment où je peux le plus écrire dans la journée, c’est la nuit. Après 23h en gros. 10 minutes plus tard, je suis dans mon texte. Si je commence plus tôt, je vais traîner 30 ou 45 minutes. Je vois ça comme du sport en fait. Des fois, tu n’as pas forcément envie d’y aller et puis finalement, une fois que tu y es, tu te dis que tu as bien fait de venir. Par contre, je n’écris pas tous les jours et je ne me fixe pas de contraintes de mots ou de pages par session. J’y vais vraiment au feeling, en me laissant guider par la passion.
Et le décalage France/Japon, tu le ressens?
C’est effectivement plus simple quand je suis en France, parce que la nuit est la même pour tout le monde. Quand je suis au Japon, ma nuit, c’est votre après-midi. Les amis, la famille peuvent appeler donc je laisse mon téléphone très loin, souvent dans une autre pièce, pour rester concentré.
Tu as déjà commencé l’écriture du suivant?
Oui, et là je suis dans l’écriture pure. Je sais où je vais et je suis lancé. On se donne rendez-vous en 2024 ?
Qui décide de la couverture ou des résumés?
La couverture est normalement décidée par un graphiste qui collabore avec l'éditeur qui nous fait des propositions. Pour Avant de sombrer, j’ai décidé de faire appel à une amie graphiste. Concernant le résumé, on en écrit un premier pour l'argumentaire envoyé aux commerciaux et les libraires, avant de le finaliser pour le roman lui-même. C’est l'éditeur qui s’en charge mais l'auteur peut intervenir, rien n'est figé. Cela dépend des éditeurs. Pour Avant de sombrer, j'ai eu la chance de voir le résumé que j'ai écrit être conservé en intégralité.
Ils ont peut-être accepté parce que tu commences à avoir de la visibilité aussi, tu ne crois pas ?
Je l'espère. Être plus visible me permettrait d'augmenter mes chances de voir mes autres titres passer au format poche... Pendant ma recherche d’éditeur, j'ai soumis mes anciens textes chez certaines éditeurs poche, mais tous ont refusé. C'est un peu frustrant, d'autant plus que Grand Froid marche plutôt bien et que Le quatrième rassemblement est paru la même année (et chez le même éditeur) que Vindicta de Cédric Sire ou Cinq doigts sous la neige de Jacques Saussey, par exemple. Eux ont trouvé preneur, pas moi. J'espère y parvenir.
Et si on part sur autre chose, en plus d’être auteur, tu es scénariste?
Effectivement, j’ai profité du Covid pour passer une formation de scénariste. J’ai travaillé sur pas mal de courts-métrages pour valider ce diplôme et cela m’a permis de me faire un petit réseau. La visibilité compte énormément dans ce milieu. J'ai travaillé en tant que consultant sur quelques scripts, et depuis les choses se débloquent doucement. J'avoue que j’aimerais faire un peu plus de scénario à l'avenir. C’est quelque chose qui me correspond bien parce que j’ai une écriture très visuelle.
Pas de touche pour des adaptations?
Le quatrième rassemblement est en étude auprès de quelques productions, mais c’est compliqué vu qu’il se passe en Californie. Les choses avancent également pour certains de mes autres tires, mais je n'en dirais pas plus.
Par contre, quand on t’entend parler et qu’on voit un peu ton parcours, on a l’impression que tu es un peu globe-trotter dans l’âme. Est-ce que c’est quelque chose qui influence ton écriture?
C’est vrai que j’ai beaucoup voyagé. Je suis né à Metz, j’ai grandi à Nîmes, où j’ai fait mes études. J’ai fini à l’institut Pasteur de Lille, qui est parrainé par Franck Thilliez, puis j’ai été travaillé 6 ans en Angleterre, entre Canterbury et Londres. Je suis revenu 4 ans à Paris et là, je suis au Japon depuis 5 ans. Chaque fois que je suis quelque part, je me dis que j’y resterai 2 ou 3 ans et chaque fois ça finit plutôt par être des périodes de 5 ou 6 ans. Et oui, l’exposition à d’autres cultures influe forcément sur les intrigues et les écrits.
Déjà des envies d’ailleurs ou pas?
Pas pour le moment.
Et quand tu disais que tu lisais beaucoup de polars, qui sont tes références?
L’âme du mal et In Tenebris, de Maxime Chattam. Sinon, Stephen King, comme beaucoup, par rapport au temps qu’il prend pour poser son intrigue et à son imagination sans limites. Autrement, côté thriller contemporain, j’aime beaucoup les intrigues d'Alexis Laipsker et la plume de Jérôme Loubry, qui va au-delà du polar. Côté japonais, j’aime bien Keigo Higashino, publié chez Actes sud. C’est l’auteur japonais contemporain par excellence. Il a écrit Le nouveau que je vous conseille. Il faut savoir qu’au Japon, le genre est un peu différent, il s'agit plutôt de Mystery. Les auteurs se focalisent d’abord sur le comment ça s’est passé, sur la mécanique même de l'acte criminel. Il y a beaucoup d'intrigues à huis-clos, par exemple. Le traitement de la psychologie des coupables est arrivé bien plus tard, avec des auteurs comme Higashino justement.
C’est si différent?
Dans son traitement, oui. Tu vois, dans son dernier, son personnage va mener son enquête dans un quartier très restreint et tout va se concentrer dans une rue bordée de tout un tas d’échoppes. Et chaque partie va se concentrer dans un magasin dans lequel on va découvrir le quotidien du tenancier et de sa famille. Petit à petit, les pièces du puzzle vont s'assembler. C'est très subtile, on touche à l'intime.
Mais pour acheter tes livres au Japon, tu as des librairies françaises?
Il en existe quelques-unes. Sinon, mes romans sont disponibles dans des librairies en VO, comme Kinokuniya, où tu trouves des auteurs de différents horizons. Il y a tout de même moins de choix puisque faire venir des livres au Japon, c’est cher. La majorité des titres sont disponibles à la commande.
Tu penses un jour être publié là-bas?
C’est une bonne question. Vu que j’ai vécu un peu partout, j’ai des amis un peu partout aussi et le fait d’être traduit serait un vrai plus. Le japonais serait l’idéal, bien sûr, mais l'anglais et l'espagnol ne sont pas en reste. Ce serait top ! En persévérant, tout est possible.
Et là, tu as enchaîné les salons et tu en as d'autres prévus… Qu’est-ce que ça te fait de venir au contact des lecteurs?
C’est étrange parce qu’entre 2018 et 2021, j’ai dû faire 4 ou 5 salons maximum. Le dernier, c’était Mulhouse en 2021. Et l’avant-dernier, c’était en 2019. Il y a eu un écart énorme, mais j’ai été surpris de voir l’accueil qu’on m’avait fait. Même si je préfère les signatures en librairie, où on a plus de temps avec les lecteurs et souvent une phase interview juste avant, les salons restent une chance. C'est un bonheur à chaque fois que d'échanger entre passionnés.
Mais même côté réseaux sociaux, ton lectorat t’a quand même pas mal suivi. L’accueil que les lecteurs ont fait à ton retour en France, tu l’as vécu comment?
Au début, même si j'étais très content, je me suis dit que c'était avant tout virtuel, et que ça ne se traduirait pas dans la vraie vie. Au bout de quelques années, par la force des choses, on peut vite tomber dans l'oubli. Mais quand je suis arrivé à Lens, puis Lyon, j'ai réalisé que j'étais attendu, beaucoup sont venus de loin pour me voir. Ça m'a beaucoup touché.
En tout cas, le changement a été drastique, dans le bon sens du terme ! Quand je suis à Tokyo, je suis assez déconnecté des réseaux, notamment en raison du décalage horaire (7 heures de plus l'été, 8 l'hiver). Je suis dans ma bulle et c'est une bonne chose pour écrire.
Même si je suis beaucoup moins réactif que certains sur les réseaux, j'essaie de poster une fois tous les mois, tous les deux mois... Je communique davantage par "stories". Je n'ai pas de plan de communication, je fais tout au feeling. Dès que j’ai une idée ou un truc à dire, je le dis ou je le fais.
Pour revenir à l'accueil qui m'a été fait... Je suis dans le paysage depuis 2018, mais je n'ai pas beaucoup été en salons, comme je le disais plus tôt. J’ai la sensation d’avoir fait plus en 2 semaines qu’en 5 ans. Des événements comme Quai du polar, c’est très impressionnant. Autant l’affluence que l’organisation. L'invitation était inattendue, tout comme la table ronde que j’ai partagée avec Franck Thilliez et Chrystel Duchamp. J'ai beaucoup appris en peu de temps et j'en suis ravi.
Et alors, le stress?
Je n'ai pas vraiment eu le temps de stresser. Le temps qu’on comprenne le monde qu’il y avait, on l’a déjà lancé. Mais entre Chrystel qui balançait deux trois conneries pour nous détendre et Franck qui était comme je l’imaginais et qui nous a énormément guidés, c’était un super moment.
D’autant que beaucoup de monde est venu t’acheter ton livre après, non?
Il y a effectivement eu pas mal de monde après et Franck, qui était en face de moi, me faisait coucou en m’en envoyant d’autres, c'était génial ! Avec Franck, on a commencé à discuter quelques mois avant la sortie du quatrième rassemblement. C'est quelqu'un de très simple, sympa, accessible. Le côté scientifique, couplé au fait que j’ai travaillé à l’institut Pasteur, forcément, ça a créé des liens. En discutant, en 2021, de mon idée qui allait devenir Avant de sombrer, lui était en train d’écrire Labyrinthes. Deux textes au final très différents sur un même thème de départ : les faux souvenirs.
Franck Thilliez, ça a l’air d’être une personne ouverte concernant ses relations avec les auteurs.
Il est génial. Il y a énormément d’auteurs à qui le succès pourrait monter à la tête, mais lui, c’est vraiment le contre-exemple parfait. Il est très discret mais quand il parle de ses textes, il se transforme (rires).
Et sinon, tu es un grand lecteur, de polar ou d’autre chose?
Oui, et d’ailleurs, j’ai suivi un peu l’actu parce que Murakami a ressorti un roman il y a quelques jours et ça faisait 6 ans qu’on l’attendait. Ça a fait les gros titres tout le monde s'est rué dessus. Le milieu littéraire est différent parce qu’on n’a pas de grand format là-bas. Le format, c’est beaucoup l’équivalent du format manga. Pour ce qui est de la littérature française, je réfléchis en ce moment à une stratégie de promotion ici, pour les auteurs français.
Et d’ailleurs, est ce que toi, tu as des questions à nous poser?
Oh. Je n’y attendais pas, à celle-là. Question toute bête, mais comment vous vous êtes formés ? Parce que vous êtes quand même une belle bande de copains très actifs, donc comment avez-vous réussi à vous rassembler? Je ne pense pas connaitre d'autre groupe comme vous.
Un peu comme les Avengers, avec Océane dans le rôle de Nick Fury. Pendant le Covid, elle voulait un club de lecture pour participer à des échanges, mais elle n’en trouvait pas vers chez elle. Donc elle a demandé à quelques personnes si ça les intéressait et finalement, on s’est tous réuni, vraiment pour papoter juste entre nous. On a commencé à faire des visios juste pour échanger sur nos lectures et puis Océane a voulu essayer en invitant un auteur. Le premier, c’était Mo Malo, et on était assez pétrifié. Finalement, ça s’est très bien passé et on a réitéré l'expérience avec Laurent Bettoni, Marlène Charine… On s'est mis aussi à discuter en salon et maintenant, ce sont parfois les auteurs qui viennent nous demander donc c’est plutôt cool.
Et si vous aviez un auteur favori à inviter, ce serait qui?
Pour l’instant, soit on les a eus, soit on va les avoir. Entre Claire Favan, les Camhug, Franck Thilliez…
Et côté salon, c’est pareil, vous vous organisez pour en couvrir un maximum?
C’est selon les occasions, selon les salons, les régions… Quais du polar 2022, c’est le premier où on se retrouvait à autant. Marie et Noemi s'étaient déjà vues l'année d’avant et on a fait Mulhouse avec Tiffany, Franck et Noemi. Avec un bon bibimbap en sortant.
Ah, si ça commence à parler nourriture, ça va être bien. Vous verrez avec le prochain, ce personnage central qui est hyperosmique. Il fiche les gens avec les odeurs et c’est un boulimique de première. Donc c’est un personnage assez particulier.
Qui tient de toi?
Un petit peu, mais sans le côté hyperosmique. Mais oui, j’aime la bonne nourriture. Quand j’apprends que je reviens en France, je me prépare toujours à retrouver notre gastronomie. Au Japon, on mange aussi très bien. Quand je suis en France, la nourriture japonaise me manque, et inversement, mais je peux profiter des deux donc je suis gagnant.
Et côté culture cinéma, c’est aussi répandu qu’en France?
Il est très prolifique mais très particulier aussi. Je ne suis pas fan du cinéma japonais. Les productions étrangères nous parviennent aussi, mais avec un ou deux mois de retard, en général. Ce qui fait que quand je vois les films sortir en France, j’évite au maximum de lire ce que les gens en pensent. Après, les japonais sont très fan du cinéma européen.
Ça ne te fait pas bizarre les doublages?
Non parce qu’en fait, au Japon, ils sont comme en Allemagne (je crois), où c’est la V.O. qui prime, avec sous-titres si nécessaire. Donc, pour moi, c’est nickel.
Tu verrais tes romans adaptés au cinéma ou en série ?
J'adorerais. Cette semaine, un lecteur a comparé Avant de sombrer à Memento de Christopher Nolan, avec cet aspect de mémoire à reconstituer (même si la mémoire n'est qu'un des thèmes principaux du roman). Le quatrième rassemblement, qui est mon scénario préféré, s'inspire beaucoup de Fargo des frères Coen. Dans le sens où il n’y a que des personnages gris. Pas blanc, ni noir, juste des gens qui sont là, et qui se retrouvent dans des situations improbables. C'est dynamique, visuel et ça ferait une belle série.
(Franck) Les frères Coen sont incroyables. Un de mes films préférés, c’est The Big Lebowski, que je trouve toujours extrêmement drôle.
Ils ont une créativité sans limites, en fait. Surtout dans leur construction de personnages.
Et ils n'ont pas deux films pareils. Ils ont fait du western, de la comédie, du policier…
Leur filmographie est assez folle effectivement. Et vu qu’on est tous plus ou moins influencé par le cinéma... Côté auteur, on est tous, je pense, intéresser à l’idée de trouver quelqu’un pour nous adapter.
Si tu devais être adapté, toi, tu verrais qui en acteur pour tes romans?
Pour mes textes, je fais des bibles, dans lesquelles j'essaie de lister les personnages qui m'inspirent et les acteurs qui se rapprochent le plus de ce que j'ai en tête. Je crois que je dois avoir un fichier quelque part qui pourrait répondre à cette question. Mais là, comme ça, de tête, je ne me souviens pas. Tout ce que je peux te dire, et je ne sais pas combien on est à le faire, mais j’imagine à chaque fois un casting français et un casting international. J’essaie toujours d’avoir deux versions d’un personnage. Après, on a tellement de fichiers et d’onglets ouverts que des fois, on s’y perd.
Sur ton ordi, tu as un dossier par roman?
Exactement
A l’intérieur, tu t'organises comment ? Tu dupliques le fichier ou tu réécris toujours sur le même?
En fait, je change de version seulement quand je fais des changements importants. Mais après, tout est relatif sur la notion de changement important. Personnellement, si je change trois phrases, je considère que ça nécessite une version de plus.
On arrive à la fin, dernière question avant le portrait chinois… Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer dans l’écriture aujourd’hui?
Bonne question. Le seul conseil que je donnerais vraiment, c’est d’écrire sans se poser de question. Juste écrire et se faire plaisir. Quand on s'y met, on devient très vulnérable, très influençable. On se projette beaucoup sur ce que les gens vont penser, sur la façon dont le roman sera reçu... Un rien nous fait sortir du processus créatif. Il faut rester sur ses idées, ne pas douter de ce qu’on écrit. Juste avancer. L’écriture c’est une suite d’étapes et le roman qu’on voit à la fin n’est que le résultat d’un long travail d’écriture, de réécriture… Le plus difficile, c’est d’arriver au bout de la première version d'un texte. Après ça, il y a vraiment un cap de franchi, où on se dit qu’on a réussi à aller au bout d’une idée et d’un projet. Même si l’histoire ne vaut rien, et ça m’est arrivé au début, au moins, c'est fait et ça ne peut que s’améliorer derrière. J’ai retravaillé Grand froid pour sa nouvelle publication chez Chambre noire, j’ai vraiment vu une amélioration dans mon style. Vraiment, le seul conseil que je peux donner, c’est celui-là. Écrire et aller au bout.
Là, c’est vraiment la dernière, mais les critiques négatives, tu les prends comment?
A mes yeux, il y a deux types de critiques négatives. Les critiques qui ne sont même pas négatives mais mauvaises, avec cette volonté de vraiment faire mal derrière. Et celles qui sont constructives. Soit parce que ce n'est pas le genre de thriller d'un lecteur, soit parce qu'il a tiqué sur un détail qui l'a sorti du livre... Parfois, ce n'est pas le bon moment aussi pour s'attaquer à un roman... Ce sont des choses qui peuvent arriver. Mais du moment qu’on explique pourquoi on n’a pas aimé, il n’y a aucun souci. Bien sûr, vu l’investissement qu’on y met, ça fait toujours un peu mal, on ne va pas se mentir. Encore une fois, l’écriture d’un roman, c’est un an de notre vie en moyenne. Mais je pense qu’on aura toujours des retours négatifs, et tant mieux. Ce serait vraiment suspect de n’avoir que du positif. C’est le jeu, quand on est publié, de s’exposer aux critiques. On sera jugé d’une façon ou d’une autre, dès l’instant qu’on crée quelque chose et qu’on le partage publiquement. Après, je me dis que ces personnes ont quand même pris le temps de s’intéresser au roman, de l’acheter et de le lire. Et ça, c’est déjà un bon point.
Il y a des retours qui te touchent plus que d’autres? De ta famille par exemple?
Je suis tenté de dire que oui. Déjà, sur les chroniques qui touchent, je vais parler de Avant de sombrer. Pour ce roman, j’ai travaillé avec la professeure Elisabeth LOFTUS qui a validé tous les points de scénario liés aux faux souvenirs. C’est passé par des traductions, des sélections de passages et d’explications. Donc quand on critique ce point-là, dans un sens ou dans l’autre, on va aussi critiquer un processus de recherche et de validation. Donc déjà, ça, tu ne peux pas passer à côté. Ensuite, je fais lire mes romans à ma famille, mais forcément, leur retour reste très subjectif. Sauf avec ma mère, qui m’attend toujours au tournant et qui est très critique.
Sinon, toutes les chroniques me touchent de manière à peu près similaire. Qu’elles soient positives ou négatives. Découvrir une chronique sur un roman qu’on a écrit, c’est un sentiment très particulier. Le simple fait que quelqu’un ait lu notre livre et prenne le temps de partager son ressenti avec d'autres personnes est déjà assez incroyable. C'est comme voir son livre en librairie. On se dit que, après tout le travail qu’on a fait, le roman est là. Qu'il est lu. Qu'on en parle. C’est une forme d’aboutissement.
Papotage de fin de session
Apprends nous un mot en japonais
Itadakimasu (bon appétit.) on reste dans le thème (rires).
Matané (à bientôt)
Merci à tous pour votre soutien pour avoir pris le temps de nous lire.
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