Né en 1974, Cédric Sire est auteur Toulousain de romans d’épouvante. Auteur de dix romans publiés, son style était d’abord ancré dans le fantastique, qui s’est peu à peu estompé au profit d’intrigues complètement ancrées dans le réel.
Quartier Noir : Salut Cédric, pourrais-tu te présenter, pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?
Cédric Sire : Bonsoir tout le monde. Je suis donc Cédric, j’écris des histoires qui font peur. J’en suis aujourd’hui à mon dixième roman publié.
QN : Comment as-tu commencé ta carrière ?
CS : J’ai commencé par publier des nouvelles, il y a une quinzaine, voire même une vingtaine d’années déjà. Au début, ces histoires relevaient essentiellement du genre fantastique. Elles ont été regroupées dans mes deux premiers livres publiés, qui étaient des recueils. Ces éléments de surnaturel, qui étaient très présents au début de ma carrière, se sont peu à peu évaporés au fil du temps. J’ignore ce que vous avez lu de moi, ni comment vous me connaissez, mais sachez donc qu’au tout début, j’écrivais du fantastique plutôt que du thriller à tendance policière, comme je le fais essentiellement aujourd’hui.
QN (Flo) : Alors, de mon côté, je te connais depuis un moment puisque le premier que j’ai lu était sous le nom de Sire Cédric.
CS : Effectivement, c’était mon pseudonyme tout au début. J’ai fini par en changer parce que les gens ne comprenaient pas le second degré. Je suppose que mes premiers éditeurs auraient dû me conseiller de prendre, tout de suite, un prénom et un nom de famille au lieu de choisir ce pseudo bizarre. Mais ça s’est passé comme ça, Sire Cédric était tout simplement mon surnom, donné par mes amis, il y a bien longtemps maintenant. Je l’avais utilisé sans réfléchir, car il me semblait naturel, et m’amusait. Mais, assez vite, je me suis rendu compte que cette étiquette trop connotée fantasy freinait de nombreux lecteurs. Depuis que j'ai inversé et que les livres sont signés Cédric Sire, je remarque que plus personne ne se pose la question. D’ailleurs, le nombre de lecteurs et de lectrices ne cesse de croître !
QN : En fait, on te mettait dans une case…
CS : Tout à fait. Je le comprends parce qu’il y avait le look, plus le « Sire » devant Cédric, les gens s’imaginaient avoir affaire à un auteur de fantasy, de style Harry Potter. Avec un prénom/nom de famille, c’est tout bête, mais la question se pose plus.
QN : Mais Cédric est ton vrai prénom ?
CS : Oui. En revanche, Sire n’est pas du tout mon nom de famille. L’origine de ce surnom est très simple. Au lycée, je lisais beaucoup d’auteurs classiques et décadents. Ceux-ci avaient tous un titre. Le compte de… Le marquis de… Le « Sire » vient de là, avec un jeu de mots en prime, puisque tous mes amis m’appellent encore aujourd’hui « Sire C. ». Quand on m’a demandé sous quel nom je voulais publier, au tout début de ma carrière, j’ai répondu que Sire Cédric serait bien. C’est à ce moment que, comme je le disais, mes premiers éditeurs auraient dû me dire que ce n’était pas une bonne idée. Mais, paradoxalement, je dois aussi être honnête, cela m’a sans conteste apporté des lecteurs au début. Étant la seule personne à avoir un pseudonyme aussi décalé dans le paysage éditorial francophone, je sortais du lot, et donc j’attirais l’attention…
QN : Oui et il doit y avoir un peu de curiosité du lecteur...
CS : Sûrement. Je publiais dans les milieux de l’imaginaire au début, donc c’était moins gênant que si j’avais commencé directement par du polar. Pour revenir sur ma présentation, aujourd’hui, je suis classé en thriller. Mais, personnellement, j’aime bien dire que j’écris du frisson. C’est plus précis que polar. De plus, je n’écris pas vraiment du polar, mais du roman d’horreur. Les films d’horreur, les histoires qui font peur me passionnent depuis que je suis tout petit. Les auteurs comme Stephen King ont changé ma vie. Tout ce que je fais, ce n’est que ça. C’est écrire à mon tour des romans qu’on aurait classés, dans les années 1980, comme des histoires d’épouvante. Même s’il y a des éléments d’enquête policière dans mes romans, ce n’est jamais le cœur des histoires. Pour cette raison, je préfère le terme thriller. C’est ce qui se rapproche le plus de ce que je fais.
QN : Après, faut aussi dire que le fantastique a quasi disparu de tes intrigues.
CS : Tout à fait, mais cela reste de l’horreur. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires qui provoquent des sensations fortes, comme Stephen King, qui est l’auteur qui m’a vraiment appris à écrire. Le genre horrifique a de nombreux ressorts. Le fantastique en est un, quand on prend une petite fille et qu’on la fait être possédée par un démon par exemple. C’est d’une efficacité redoutable : nous nous mettons à la place des parents autant qu’à la sienne, cela va générer des montagnes russes émotionnelles. Ou alors, on peut tout autant faire comme dans mes derniers livres, c’est-à-dire prendre un tueur à gages, ou une secte bien réelle. Cela va donner un récit paranoïaque tel que Du feu de l’enfer. Il n’y a plus aucun élément de fantastique, mais cela reste un récit d’horreur, un slasher pour être précis. D’ailleurs, si je devais vraiment choisir un genre pour définir ce que j’écris, ce serait ça : le giallo et le slasher. Ce sont des genres très codifiés et je joue avec tous leurs éléments : le tueur masqué, les gants en cuir, les assassinats à l’arme blanche, la dernière survivante. C’est le genre de Halloween, Vendredi 13, Freddy, tous ces films des années 1980 avec lesquels j’ai grandi. Le premier slasher au cinéma, c’est Psychose, d’Alfred Hitchcock. C’est ce film qui, historiquement, marque le début de ce genre-là. Je m’inscris tout à fait consciemment dans cette veine, de livre en livre. Je pense que sur mes dix livres, neuf peuvent être étiquetés comme des slashers.
QN : Qu’est-ce qui a fait que le côté fantastique s’est estompé ?
CS : Je ne me suis jamais posé la question. J’ai toujours suivi mes envies. Il y a 20 ans, tout ce que j’aimais était le gore, le fantastique. Progressivement, mes centres d’intérêt ont évolué. Chaque livre que j’écris a été le reflet de mes pensées à un moment de ma vie. Je trouve cela très intéressant, rétrospectivement, car cela constitue des bornes kilométriques de ma vie. Chacun de ces romans représente qui j’étais à un moment donné. Le fantastique a disparu sans que cela soit prémédité, et cela n’est par ailleurs pas définitif non plus. J’ai terriblement envie d’écrire la suite de La mort en tête. Mais c’est un pari un peu périlleux, ne serait-ce que parce le roman se déroulera, logiquement, en 2013, dans la continuité des précédents. Je ne sais pas quand je l’écrirai, en revanche je sais déjà ce que je vais y raconter. Et, pour le coup, ce sera un retour au fantastique pur, avec tous les personnages des volumes précédents, tout en faisant en sorte que les nouveaux lecteurs, qui n’ont pas lu les romans précédents, puissent lire celui-ci sans problème. Cela fait plein de choses qui tournent en tête, et qui sortiront… quand elles seront prêtes !
QN : Alors attends. La mort en tête, c’est un troisième tome ?
CS : Un troisième tome des aventures d’Eva et Alexandre, mais un cinquième si tu comptes les deux volumes d’Alexandre seul. Dans l’ordre, il y a d’abord L’enfant des cimetières, la première apparition d’Alexandre en personnage secondaire. Très gore, très fantastique. Puis vient Le jeu de l’ombre, avec un fantastique plus nuancé. Quelques mois plus tard débute De fièvre et de sang, la rencontre entre Alexandre et Eva. Leur duo se retrouve dans Le premier sang et enfin La mort en tête.
QN : Mais peut-on lire ces romans dans le désordre ?
CS : Absolument. Le seul problème, c’est que cela risque de spoiler certaines péripéties. Dans l’idéal, il est toujours mieux de lire dans l’ordre, mais je me suis sincèrement arrangé pour qu’il soit possible de lire chaque aventure de manière indépendante.
QN : Et quand tu disais, tout à l’heure, que tu as commencé par des nouvelles, comment en es-tu arrivé à écrire un roman et à te faire publier ? Parce qu’on reçoit des auteurs qui nous expliquent un peu le parcours du combattant pour percer, alors, comment as-tu fait, toi ?
CS : Je n’ai pas vraiment eu le temps d’y réfléchir. Des romans, j’en avais déjà écrit, mais il faut repartir tout au début pour comprendre le contexte. J’ai commencé à écrire dans les années 1980. Au siècle dernier, en fait ! Je suis né en 1974, j’ai grandi dans un milieu rural, avec trois chaînes à la télé et pas vraiment d’offre de divertissement par rapport à ce que l’on connaît aujourd’hui. Il me restait essentiellement la lecture et l’écriture. Dès l’âge de dix ans à peu près, mon truc, c’était d’écrire des histoires. J’imitais à peu près tout ce que je lisais. Par exemple, après avoir lu Le seigneur des anneaux de Tolkien, pendant un long moment, j’ai écrit des histoires de dragons et d’elfes. Vers l’âge de treize ans, j’ai découvert Stephen King. Là, ça a été le choc. Je lisais un auteur actuel, qui abordait toutes les angoisses qu’on peut ressentir au quotidien. Pendant plusieurs années, j’ai écrit des pastiches de Stephen King, pour mon seul plaisir évidemment, personne n’a jamais lu ces histoires écrites durant mon adolescence. Ce n’est que vers 18 ans qu’est arrivé un changement. J’ai commencé à ressentir le besoin de partager. Je suis donc reparti sur la forme courte. C’était le tout début de l’ordinateur tel qu’on le connaît aujourd’hui. Je découvrais le logiciel Word. L’avantage des nouvelles, c’est que je pouvais sortir le texte à l’imprimante et les faire lire. Je n’y connaissais rien au monde de l’édition, bien sûr. Je voulais surtout me faire plaisir. J’ai donc imprimé de petits livrets, semblables à ce qui se faisait en poésie, que j’offrais à mes amis. Tout ce qui m’importait était d’être lu, de partager mes histoires. Pendant cette période, j’ai aussi commencé à lire mes textes sur la radio associative FMR, à Toulouse. Je considère cela comme mes vrais débuts. Une chose menant à une autre, j’ai fini par être publié dans un magazine, puis quelques maisons d’édition m’ont acheté des histoires. On était au début des années 2000. Finalement, une petite maison d’édition m’a contacté. L’éditeur souhaitait me publier, et était intéressé par un recueil de nouvelles. Cela se faisait beaucoup à cette époque dans les milieux de fans. J’ai décidé de rassembler le meilleur de ce que j’avais écrit en une dizaine d’années, c’est ce qui a donné mon premier livre publié, Déchirures. Les histoires qui le composent ont été créées entre 1993 et 2004. L’éditeur était tout petit, il a fermé depuis, mais il m’a permis d’être ensuite démarché par un autre éditeur, Le pré aux clercs. Cette maison était bien plus importante, et surtout elle appartenait à un groupe de poids, Editis. L’éditrice m’a demandé de lui proposer quelque chose. Je me suis rendu à Paris plusieurs fois pour faire des propositions. Le premier projet de roman ne leur convenait pas. Le deuxième non plus… L’éditrice m’expliquait à chaque fois que ces ébauches étaient intéressantes, mais que selon elle je pouvais faire mieux. Ce n’était pas encore à la hauteur de ce qu’elle souhaitait publier. J’ai donc commencé à travailler sur troisième projet dont j’avais rédigé les quarante premières pages. C’est ce qui allait donner L’enfant des cimetières. Cette fois, l’équipe éditoriale a été séduite, et l’éditrice m’a proposé un contrat avec une avance financière. Six mois plus tard, le roman sortait. J’étais désormais publié par un grand groupe d’édition.
QN : Donc, ça a pris un peu de temps, quand même.
CS : Si on fait les comptes, presque 20 ans ! J’ai commencé à écrire à 10 ans. Mon premier recueil a été publié quand j’en avais 30. Et mon premier ouvrage que je considère comme vraiment professionnel, en 2009, alors que j’avais 34 ans.
QN : Et là, on te considérait vraiment comme un auteur.
CS : C’est ça. Mon roman était toutes les librairies, des pubs passaient à la radio. Je suis fier de mes trois livres publiés avant cela, mais ils font office de balbutiements. L’enfant des cimetières a été mon premier succès, mon premier roman à rapporter de l’argent. Les précédents n’ont rien rapporté du tout.
QN : Ils t’ont servi de tremplin, en fait.
CS : Ils étaient nécessaires. C’est ce que l’on doit dire à tous les nouveaux auteurs. Ne faites pas ça pour l’argent. Travaillez, faites quelque chose qui soit vous, et ne vous posez surtout pas de question sur ce qui va marcher ou non. Ne vous censurez pas. Faites juste en sorte qu’il y ait du plaisir, tout le temps, tout le temps et tout le temps !
QN : Tu as fait des études littéraires ?
CS : Oui, et cela n’a servi à rien. L’écriture ne s’apprend pas. Ou en fait, cela s’apprend, mais ce n’est pas une science exacte. La seule façon d’apprendre à écrire, c’est de lire. Encore et encore. Lire de manière active. C’est-à-dire, ouvrir un livre d’un auteur qui nous plaît et chercher à comprendre comment il ou elle a fait. Remarque, tu peux même le faire avec un roman qui ne te plaît pas, d’un auteur que tu détestes. C’est tout aussi intéressant ! Le tout est d’analyser comment il ou elle a fait. Comment le décor est mis en place, quels artifices sont déployés pour qu’on s’attache aux personnages, qu’on puisse suivre l’action… Ou, dans le cas d’un livre qu’on trouve minable, définir pourquoi ça ne marche pas sur nous. En le lisant de manière active, le but est de comprendre pourquoi on ne s’attache pas aux personnages, pourquoi les dialogues ne sonnent pas juste, pourquoi les descriptions n’évoquent pas d’images, et ainsi de suite…
QN : Pour qu’en tant qu’auteur, en fait, tu ne fasses pas les mêmes erreurs.
CS : Exactement. Imagine une personne passionnée de mécanique. La première chose qu’elle va faire, quand on va lui donner un moteur, c’est de le démonter pour comprendre comment tout ça fonctionne. C’est la même chose pour un romancier. Il faut prendre un livre, le désosser pour comprendre comment son auteur a posé les enjeux, comment il a introduit ses personnages et sa situation de départ. Ce n’est qu’à force de lire qu’on peut arriver à saisir comment tout cela est construit. Bien sûr, il y a aussi la théorie pure. Des tas de gens ont écrit des livres sur les manières d’écrire une histoire. Je suis personnellement un grand admirateur d’Alfred Hitchcock, qui a beaucoup théorisé là-dessus. Il y a des choses très intéressantes dans ce qu’il explique. Par exemple, le principe de la bombe à retardement. Si on décrit un groupe de personnes en train de discuter dans une salle et qu’au bout de dix minutes une bombe explose, il n’y a que quelques secondes de stress au moment de l’explosion. En revanche, si on montre tout d’abord un individu en train de placer la bombe, et de régler le compte à rebours sur 10 minutes… On peut remettre la même scène avec le même groupe de personnes, il y a désormais 10 minutes de stress. Désormais, en tant que spectateurs, nous savons qu’il y a un danger, nous espérons que quelqu’un va s’en rendre compte. Des techniques narratives de ce style, il y en a plein, et c’est à chacun de se les approprier. Mais, comme je le soulignais, ce n’est pas une science exacte. Ce n’est pas parce qu’une technique fonctionne dans un cas de figure qu’elle marchera dans un autre. En tant qu’auteur, tout le travail consiste à tester, expérimenter, écrire beaucoup, jeter tout autant.
QN : Quel est ton procédé d’écriture ? Tu testes et tu y vas au feeling ou tu es plutôt un architecte qui planifie tout ?
CS : Mon procédé est bordélique. Ma seule constance, je pense, est que j’articule chacun de mes romans autour des personnages. Si je me lance dans un projet, c’est parce que je veux raconter la vie de telle ou telle personne. L’intrigue se crée toute seule au fil de l’écriture, autour de cette idée.
QN : Mais ton inspiration vient plutôt d’un fait divers que tu as lu, ou de ton expérience personnelle ?
CS : Cela dépend. Pour ma part, j’appelle ça le travail invisible. Pendant des mois, j’engrange des idées en séries, le cerveau travaille tout seul, en tâche de fond. Puis, un jour, une idée se détache et se précise. Je me dis que ce serait intéressant de voir comment tel personnage va affronter telle situation. Chacun de mes romans vient de ça. Je vois une image, une situation hors du commun, et je me dis que j’aimerais vraiment découvrir comment mon personnage va pouvoir affronter ça. Ceci étant dit, cela prend parfois beaucoup de temps pour tomber sur la bonne idée, celle qui va fonctionner en tant qu’histoire. Tu vois, par exemple, le personnage d’Eva Svärta a tourné pendant près de 5 ans dans ma tête avant que je trouve le bon moment pour l’utiliser. J’avais ce personnage en moi, et aussi l’idée tenace d’une thématique qui serait une réflexion sur l’apparence. Tout était parti du constat que nous passons, tous et toutes, toute notre vie à juger les autres en fonction de leur apparence. J’avais donc ce personnage albinos qui me hantait, et ce fait quotidien que nous jugeons tout le monde, tout autant que nous sommes jugés, et aussi que nous nous imaginons comment nous sommes jugés. Je voulais jouer avec ça, cela me semblait évident, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. Entre temps, j’avais créé le personnage d’Alexandre Vauvert. Je me suis alors rendu compte que j’avais là deux faces d’une même pièce, avec toujours le thème de l’apparence. À cela, en dernier lieu, est arrivée l’envie d’écrire un roman qui utiliserait l’imagerie vampirique. C’était la clé. Situer une histoire de vampire dans un monde où nous vivons sans arrêt dans le culte de l’apparence. Du matin au soir, nous subissons un harcèlement publicitaire : il faut être toujours plus mince, toujours plus jeune. C’était le déclic. Et le roman De fièvre et de sang est né. C’était le moment de placer toutes les scènes que j’avais déjà en tête autour d’Eva, et de faire revenir le personnage d’Alexandre pour l’approfondir. Le livre s’est écrit quasiment tout seul, en l’espace de trois ou quatre mois. Le travail invisible, en amont, a fait que toutes les pièces du puzzle pouvaient se mettre en place naturellement.
QN : Donc tu n’es pas du genre à faire des plans avec des flèches dans tous les sens comme Franck Thilliez par exemple…
CS : Alors, si, maintenant, je le fais, parce que j’ai appris à le faire. Et ça aussi, c’est une astuce pour les jeunes auteurs. Il y a deux façons radicalement opposées d’écrire un livre. La première, à la manière de Stephen King, est d’être un jardinier. Il n’y a pas de plan. Le jardinier plante une graine, il ne sait pas du tout où ses mots vont le mener, mais il écrit. La force de cette approche est qu’elle met en avant le côté humain, tout se construit autour des personnages et leur donnera de la profondeur. Le bémol, évidemment, concerne la fin. Si la construction est hasardeuse, il est difficile de réussir une chute satisfaisante. La seconde façon d’aborder l’écriture est de se comporter en l’architecte. L’architecte va tout soigneusement planifier. De son intrigue à ses personnages, avec les fameuses flèches partout. Le scénario sera donc brillant, mais, dans ce cas, le problème viendra d’une trop grande rigidité. Même si toutes les pièces sont bien là où il faut, la construction manquera de spontanéité. L’exemple le plus connu d’architecte est James Patterson. D’ailleurs, ce n’est même pas lui qui rédige ses romans. Il construit minutieusement ses scénarios et les fait écrire par d’autres. King et Patterson étant les deux auteurs les plus vendus au monde, on comprend qu’il n’y a pas une manière meilleure qu’une autre d’aborder l’écriture.
QN : Et toi, du coup tu n’as pas trop ce problème de rigidité de l’architecte ?
CS : Non, parce que je me laisse de la marge de manœuvre. Pour mon dernier roman, La Saignée, j’avais créé une structure très rigide et je l’ai respectée à la lettre parce qu’il fallait que mon intrigue soit irréprochable, et c’était le seul moyen d’y arriver. Mais, pour le roman précédent, Vindicta, il s’est produit l’inverse. Je voulais un roman très humain, et plus j’avançais plus l’histoire devenait artificielle. Arrivé à la moitié à peu près, elle ne fonctionnait plus. J’ai donc décidé de jeter les 50 % du scénario restant, et j’ai continué à écrire en roue libre. J’ai laissé les personnages se développer, sans trop savoir où j’allais, mais cela m’a permis de conserver le côté hystérique auquel je tenais pour cette histoire. Il y a un sentiment de crescendo, chaque meurtre est plus extravagant que le précédent. Ce n’était pas prévu ainsi, au départ. D’ailleurs, même si je pense que le livre tel qu’il est écrit est bien plus efficace et satisfaisant, je dois reconnaître que mon scénario original avait une finalité beaucoup plus profonde. Mais qui aurait été moins fun !
QN : En fait tu planifies, mais tu laisses aussi la place à la spontanéité.
CS : C'est ça. Quand on écrit, je pense qu’il faut prendre le risque de se tromper.
QN : Et côté éditorial, si ton éditeur te dit qu’il n’aime vraiment pas quelque chose, mais que toi, c’est quelque chose que tu aimes énormément, comment cela se passe-t-il ?
CS : Je ne sais pas, ce n’est jamais arrivé. À chaque fois, il y a eu très peu de choses à changer selon les éditeurs, cela concerne essentiellement des répétitions. Pour la première fois, dans La Saignée, mon éditrice chez Fayard m’a fait remarquer qu’il y avait un ventre mou. Une façon bien élevée de me dire qu’il y avait un passage chiant. Et elle avait totalement raison. Il y avait deux/trois endroits où le rythme était perdu, et j’ai compris pourquoi en relisant attentivement. Alors, dans ce cas-là, j’ai sabré des choses, c’était effectivement bien mieux après. D’où l’importance pour un auteur d’avoir un éditeur compétent, qui soit capable de pointer du doigt ce qui ne va pas.
QN : Et pouvoir aussi utiliser les bons mots pour le dire, non ?
CS : Tout à fait. Il faut toutefois garder en tête que l’éditeur n’écrit pas le livre. Il joue simplement le rôle de bêta-lecteur. Il doit pouvoir prévenir l’auteur si le début du roman n’est pas assez accrocheur, ou si la fin ne referme pas toutes les portes. Pour reprendre l’exemple de La Saignée, les motivations de certains personnages n’étaient pas assez claires. Dans la première version, je répétais seulement à plusieurs reprises que Quentin était obsessionnel. Mon éditrice m’a dit : « OK. On sait qu’il est obsessionnel, tu l’as déjà dit. Mais pourquoi est-il comme ça ? » Elle avait tout à fait raison de le souligner, cela manquait. J’ai donc réécrit quelques scènes pour insérer son parcours personnel, tandis qu’à d’autres endroits j’ai enlevé les répétitions. Mais ces changements-là restent le travail de l’auteur, qui doit prendre le recul nécessaire, ce n’est pas l’éditeur qui lui dira quoi ou comment écrire.
QN : En plus de ça, comme toi, tu es dans le bouquin, tu ne les vois pas forcément, ces défauts-là... Tu n’as pas le regard extérieur d’un éditeur.
CS : Le but, c’est que le livre fonctionne. Il faut que le lecteur qui va acheter son roman 20 euros en ait pour son argent. Il faut qu’il puisse rentrer dedans et que le produit fini soit le meilleur possible. Tout doit être fait pour le lecteur. Et ça, ça pose un autre problème pour nous, auteur. Même en mettant le meilleur de nous-mêmes dedans, on ne peut pas être sûr à 100 % que le lecteur va entrer dedans. Et s’il y a un problème, je me dis que c’est le lecteur qui a raison. L’histoire n’existe, pour moi, que dans la tête du lecteur qui la lit. S’il n’accroche pas, on n'y peut rien, c’est le lecteur qui décide.
QN : Justement, si tu te prends une critique négative virulente de quelqu’un qui n’a pas aimé ton roman, tu le prends comment ?
CS : J’essaie de pas trop lire ce qui se dit. Mais, encore une fois, le lecteur a raison. Qu’il aime ou qu’il n’aime pas. Et moi le premier, en tant que lecteur, j’achète des livres pour être diverti. Certains marchent et me plongent en eux. D’autres pas, alors je les referme, tant pis. Tout ce que cela signifie, c’est qu’ils ne sont pas pour moi. Il y a des lecteurs qui n’aiment pas ce que je fais, tant pis. Ce que j’écris ne doit pas être fait pour eux. Je ne le prends pas mal, j’ai conscience qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais, clairement, s’il y avait une majorité de lecteurs qui n’aimaient pas ce que je fais, je me remettrais sérieusement en question. Je suis toujours à l’écoute des lecteurs, de leur ressenti. Par exemple, j’ai en tête mon roman Le jeu de l’ombre. Certains lecteurs n’ont pas aimé la fin. Et nombreux sont ceux qui m’ont demandé de leur expliquer, car ils n’avaient pas tout compris. De manière personnelle, je suis très content de cette fin. Je sais ce que j’ai fait, je sais pourquoi je l’ai fait et comment je l’ai fait. Mais je me rends compte que ça ne marche pas assez sur les lecteurs. Évidemment, il y a aussi certains lecteurs qui l’ont adoré, et qui me disent que c’est mon meilleur livre. Mais je pense surtout à la grande majorité qui ne l’a pas saisie comme je l’espérais. Je sais donc que j’éviterai de refaire ce type de chute à l’avenir. Je dis cela sans aucun ego, parce que, encore une fois, je me considère avant tout au service du lecteur. Je suis là pour le divertir. Si cela ne marche pas, je ne peux qu’être désolé et essayer de faire mieux la prochaine fois.
QN (Franck) : Alors pour moi, par contre, le meilleur, c’est Du feu de l’enfer. Déjà parce qu’il m’a sorti d’une panne de lecture à grand coup de pied, mais aussi parce que c’est celui que je trouve, effectivement, le plus proche du slasher, comme tu disais tout à l’heure.
CS : Alors merci, mais tu sais quoi ? C’est un des livres qui a le moins bien marché…
QN (Noemi) : Mais pourquoi ?! C’est fou, ça, tout le monde ne parle que de Vindicta, qui est très bien aussi. Mais chaque fois que j’entends quelqu’un dire « je vais lire du Cédric Sire, j’ai acheté Vindicta », j’ai envie de lui dire de lire Du feu de l’enfer ! Et ceux qui le lisent n’en parlent pas assez. Comme s’il restait dans l’ombre de Vindicta.
QN (Flo) : Il va être réédité, Du feu de l’enfer, ou pas ?
CS : Je ne peux pas trop en parler pour l’instant parce que je n’ai pas vraiment de visibilité sur le programme, mais Du feu de l’enfer va bien ressortir en poche, sous un nouveau look et chez un autre éditeur, vers la fin 2023. C’est-à-dire qu’il sera de retour en librairie comme une presque nouveauté, et cela me fait très plaisir évidemment, il y a de très nombreuses personnes qui ne l’ont pas encore lu et qui pourraient l’adorer ! Quant à Vindicta, son succès est tout simplement dingue depuis ses débuts, et cela va faire 3 ans. Je n’explique pas l’engouement pour ce roman en particulier, peut-être est-ce parce que c’est le plus simple et direct que j’ai écrit ? Même si j’en suis très fier, évidemment. Mais j’espère que Du feu de l’enfer aura droit à sa seconde vie. J’ai un attachement très fort à ce livre, qui est un slasher dans les règles. On y retrouve tous les codes du genre : des meurtriers masqués, un personnage de dernière survivante... À ce propos, si vous voulez une petite confidence, une clé pour lire mes romans, vous remarquerez que les noms des personnages ont toujours un sens qui ne doit rien au hasard. Je m’amuse à choisir systématiquement des noms qui définissent leur rôle dans l’histoire, et cela à divers degrés. Si on revient aux règles du slasher, depuis le Halloween de John Carpenter, le personnage de la dernière survivante doit être vierge. C’est devenu un symbole quasiment obligatoire : seule la représentante de la pureté peut triompher, à la fin, du représentant du mal absolu. J’ai donc choisi pour mon héroïne, Manon, le nom de famille Virgo, soit « vierge » en latin. Cela m’amuse toujours beaucoup, quand je choisis ce genre de nom, surtout que personne ne va le remarquer. Si je repense à Vindicta, la toute première image du roman montre quatre têtes de mort multicolores étalées sur un lit : il s’agit des masques que quatre jeunes vont utiliser pour un braquage. Ces personnages s’appellent Driss, Elie, Audrey et Damien. Si l’on prend la première lettre de chacun de leur nom, cela donne le mot « DEAD »… ce qui préfigure ce dans quoi ils vont s’embarquer !
QN : Tes romans ont une deuxième couche qui est réservée à toi seul, en fait !
CS : Je me dis qu’un jour, peut-être, certaines personnes remarqueront une chose ou une autre, et que ça les fera sourire eux aussi. Il y a énormément de références et de clins d’œil dans chacun de mes livres.
QN : Il faut les lire plusieurs fois en fait, pour vraiment s’en rendre compte.
CS : C’est une idée ! Mais, ceci étant dit, même si aucun lecteur ne s’en rend jamais compte, ce n’est pas important non plus. Pour moi, ces détails sont avant tout un moteur créatif. Je suis comme un gamin qui invente des choses dans sa tête, et qui a besoin de s’amuser en permanence. Tous ces jeux avec les mots et leur sens permettent à mes idées de fleurir, de se développer. Donc, au bout du compte, même si personne ne devait jamais relever les références sous le texte, j’aurais toujours le souvenir d’avoir bien gloussé devant mon clavier ! C’est l’essentiel. Je tiens à toujours conserver ce côté ludique et pétillant de l’écriture.
QN : Il se passe des drôles de trucs quand même, dans la tête des auteurs. Chaque fois qu'on en reçoit un, il nous dit des trucs, on se dit « Mais oh mon dieu, ils ne sont pas tous bien câblés quand même ». Et puis nous, qui lisons ça et qui prenons beaucoup de plaisir, on se dit qu’on ne doit pas être bien câblé non plus finalement !
CS : Le but reste de partager quelque chose. Si, de mon côté, je parviens à écrire avec ce sourire en coin permanent, j’imaginer que le lecteur va recevoir cette énergie positive. Et même si mes histoires sont toutes plus horribles les unes que les autres, en apparence, j’essaie de conserver leur côté divertissant. Je ne veux ni plomber, ni démoraliser les gens. Le monde est déjà suffisamment pessimiste et anxiogène. Au travers de la lecture, j’espère faire oublier tout ça. C’est une question de psychologie, la lecture doit rester un moyen d’évasion. C’est vraiment très important pour moi.
QN : Et donc j’imagine que tu es un gros lecteur
CS : Totalement.
QN : Tu lis quoi en ce moment ?
CS : Je suis en plein dans le dernier Jacques Saussey, L’aigle noir.
QN : As-tu des auteurs à recommander, que toi, tu suis particulièrement ?
CS : C’est toujours compliqué comme question. D’abord, j’ai envie de dire tous les copains et copines du noir. Ce qui me fait dire que le niveau actuel est incroyable ! Je me souviens que, dans les années 1990, la littérature de genre était reléguée aux romans de gare. Des récits bâclés, écrits sur commande. À l’époque, on disait « Je lis un roman d’anticipation » ou « Je lis un polar ». Alors qu’aujourd’hui, on dit plutôt « Je lis un Karine Giébel » ou « Je lis un Olivier Norek ». Ce n’est pas anodin. Désormais, nous lisons de véritables auteurs, avec une voix forte, un univers, de la profondeur, c’est de la littérature à part entière. Le niveau général est vraiment très haut. Chaque fois que je lis un Franck Thilliez, je suis jaloux de son niveau ! Je vois les techniques qu’il utilise, son scénario est impeccable. Mais c’est une jalousie extrêmement positive, parce que je me dis que si lui peut le faire, alors je peux le faire aussi. Cela pousse à travailler plus dur. Ma barre doit toujours placée être au plus haut, pour rester au niveau de mes collègues. Au final, nous nous tirons tous vers le haut.
QN : Et tu n’as pas une forme de pression ? Parce que je pense que tu as pris conscience de la notoriété que tu as dans le genre, maintenant, donc quand tu sors un nouveau roman, tu n’as pas cette angoisse de décevoir ton lecteur ?
CS : Honnêtement ? Je ne sais pas. La plus grosse partie de mon angoisse, c’est celle que je me mets moi-même. Ce qui est sûr, et ça, ce n’est que mon avis purement personnel, qui n’engage que moi, c’est que chacun de mes romans a été meilleur que le précédent. Parce que j’ai travaillé plus dur à chaque fois. Je vois ce que font les collègues, je me refuse à faire moins bien. Je conserve toujours cette exigence très haute. Ainsi, même si je n’arrive jamais à la hauteur de ce que je rêvais, même si je me dis chaque fois que j’aurais pu faire mieux, je sais tout de même que je me suis dépassé par rapport à mes capacités, que j’ai mis la barre un peu plus haut que la fois précédente. Donc, chaque fois, je suis très content de ce que j’ai accompli, je sais que le manuscrit que je rends est le meilleur de ce que je pouvais faire à cet instant de ma vie. Car je suis conscient de mes qualités, mais je suis aussi conscient de mes défauts, et de mes limites. J’ai parlé du Jeu de l’ombre, pour lequel, si c’était à refaire, j’écrirais une fin différente. Mais ce n’est pas grave, cela ne laisse que plus de possibilités à explorer dans mes livres suivants. De même, quand De fièvre et de sang, la première histoire mettant en scène le duo Eva et Alexandre, avait été optionnée pour une adaptation télé, je sais que les scénaristes de la série avaient respecté le roman, mais s’étaient permis d’inventer une finalité différente… et je la trouvais bien meilleure que la mienne ! Je prends cela comme une leçon. J’aime pouvoir toujours me dire « La prochaine fois, je sais que je peux faire encore mieux ! »
QN : À part celle-là, as-tu des projets d’adaptations ?
CS : Régulièrement, des choses sont achetées, des projets se dessinent, mais ne se concrétisent pas. Pour l’instant ! C’est frustrant, mais je garde espoir, je suis confiant dans le fait que cela se fera un jour. Après, il faut bien comprendre que ce n’est jamais le romancier qui décide d’adapter son propre travail. Il y a un producteur qui dit un jour « Ok, ça, j’aimerais le produire ». Il achète les droits, ce qui s’appelle dans le milieu une option, et à partir de cet achat, il dispose d’un an pour faire le film. Mais très souvent, il n’y arrive pas, tout tombe à l’eau.
QN : Et tu n’as jamais rêvé de faire partie de cette vague d’auteurs qui deviennent l’espace de quelques années des scénaristes ?
CS : On ne me l’a jamais proposé. Je ne serais pas contre, mais c’est quelque chose que je ne connais absolument pas.
QN : Parce qu’en plus, il paraît que l’écriture d’un roman et celle d’un scénario, ce sont deux exercices complètement différents.
CS : En effet. L’écriture d’un roman est essentiellement un tour de magie. De la même manière qu’un musicien ne dispose que des notes et des sons pour créer du sens, un roman romancier ne dispose que de la langue. Avec seulement des mots, il faut donner au lecteur l’impression de se retrouver face à de vrais personnages, qu’il se passe des choses dans des décors plus grands que nature. Je suis fasciné par le fait que tout ça, en définitive, ne soit que des taches noires sur du papier blanc. Et là où je veux en venir en rappelant cela, c’est que créer un livre, le plus important, c’est le style. Je souris à l’idée qu’il n’y a pas si longtemps, j’ai lu une critique qui disait que d’accord, on était à fond dans mon roman, mais que j’écrivais très mal. J’ai pris cela comme un compliment. Parce que le but du style, c’est qu’il ne se voit pas. Si on rentre dans l’histoire, si on s’identifie aux personnages et si on sent le sang gicler, c’est que le style est impeccable, justement. C’est lui seul qui a su transmettre ce que je voulais. Je le répète, un roman n’est rien d’autre que des mots qui doivent donner l’illusion qu’il y a des images, du mouvement. La différence avec un scénario de film est donc évidente : dans ce cas, il n’y a rien. Un scénario n’est qu’un immense dialogue. Le travail de création est donc radicalement différent. Penser qu’un roman est adaptable parce qu’on a eu une expérience visuelle en le lisant, ce n’est pas forcément juste. Cela veut simplement dire que, à la lecture de ce roman, les images sont venues. L’auteur a été suffisamment bon, au travers de son style, pour donner l’illusion du mouvement, de la réalité de l’image et de l’action. Ce n’est pas pour autant que cela rendrait bien au cinéma. Mais, bien sûr, je serais ravi de voir un de mes romans adapté. Et même si le résultat était mauvais d’ailleurs.
QN : Quel regard portes-tu sur une adaptation ?
CS : Je pense qu’il faut arrêter avec l’éternel débat qui consiste à déterminer si le livre est meilleur que son adaptation. Le roman en lui-même, c’est une histoire créée par l’auteur. Il se suffit à lui-même. L’adaptation, que ce soit sous forme de film ou de série, est la vision d’une autre personne. Cela devient la création d’un réalisateur, basée sur le travail d’un scénariste qui dépend aussi du jeu des acteurs. Ce n’est pas du tout le même produit. On ne peut donc pas les comparer. On ne devrait pas.
QN : Et en cas d’adaptation de tes romans, qui voudrais-tu voir en acteur ?
CS : Je ne sais pas, mais, si je devais être honnête, je préférerais qu’ils soient des acteurs totalement inconnus. Pour qu’ils puissent incarnent les personnages de manière neuve, sans être associés à des rôles qu’on connaît. Malheureusement, les studios font le raisonnement inverse. Ils ont besoin de présenter des stars pour vendre la série au public. Mais si j’avais le choix, je prendrais des gens inconnus pour qu’on puisse derrière se dire « Ah oui, ça c’est Alexandre Vauvert » et pas « Ah, tiens c’est Angelina Jolie ».
QN : Gros consommateur de série TV aussi ?
CS : Comme tout le monde. Je binge des séries, que ce soit sur Netflix ou les autres plateformes.
QN : Tu as des recommandations ?
CS : Plein. Alice in Borderland, Brand New Cherry Flavor… En ce moment, je suis dans IZombie. Les dialogues sont très justes, tu sens que les acteurs s’éclatent. Je regarde tout ce qui me tombe sous la main, à vrai dire. Dans l’ensemble, les séries actuelles sont excellentes. Et pour en revenir à l’écriture, je trouve cela fou à quel point tous les médias se sont toujours influencés mutuellement. Le cinéma, quand il a été inventé, s’est d’abord inspiré de la peinture et de la littérature, avant de créer ses propres techniques de narration. Puis, progressivement, alors que le cinéma développait son langage et ses codes, c’est la manière d’écrire des romans qui a évolué en s’en inspirant en retour. Les romanciers ont commencé à utiliser le flash-back, qui est une invention purement cinématographique. Aujourd’hui, nous vivons un âge d’or des séries TV, mais celles-ci ont d’abord puisé tous leurs codes dans la littérature. Je pense au côté « page turner » par exemple. Dès que tu finis un épisode, tu as envie de voir la suite. C’est un miroir de la lecture : à la fin de chaque chapitre, tu dois te sentir obligé de lire un chapitre de plus, si l’auteur a bien fait son travail. Et en retour, les romanciers, tous autant que nous sommes, nous inspirons du langage sériel, en profitant du fait que c’est un langage en constante évolution, qui continue de se métisser avec toutes les autres formes d’art. En série comme en littérature, il y a une telle offre aujourd’hui que, quand je dis que la barre est haute, c’est même au-delà des frontières de l’art. Je considère par exemple qu’en face de moi, j’ai un monstre comme Netflix. Si je ne suis pas assez bon, si mon lecteur s’ennuie, je dois avoir conscience qu’il va refermer le livre et allumer Netflix.
QN : En même temps, n’est-ce pas difficile de garder un même style littéraire et de sans arrêt réussir à se renouveler ?
CS : Alors si, c’est dur. Très dur.
QN : Parce que tu vois, La Saignée, c’est le Dark Web. Et tu n’es pas le seul à avoir écrit là-dessus. Comment arrives-tu à avoir ce truc en plus ?
CS : Chaque auteur doit avoir son propre univers. J’ai le mien, je ne me pose plus cette question. D’ailleurs, le pire, c’est quand nous écrivons sur des sujets identiques parce qu’ils sont dans l’air du temps, ou bien dans l’actualité de faits divers. Je pense notamment à La catabase de Jack Jackoli, qui a été réédité récemment en poche sous le nom Entre enfer et paradis, et qui est un roman qui aborde lui aussi le thème du Dark Web et des red rooms. Jack est policier en Belgique. Il raconte des enquêtes qu’il a vraiment vues. Moi, je ne suis pas flic. Je compense en allant poser tout un tas de questions à des enquêteurs, des médecins… Les faits décrits dans La Saignée viennent de choses vécues et vraies, autour desquelles j’ai brodé à ma façon, avec mon univers. Jack Jackoli et moi nous sommes inspirés plus ou moins des mêmes faits, ce qui donne des points communs entre nos deux romans. Mais il les a tissés avec son univers à lui, ce qui donne deux résultats très différents l’un de l’autre.
QN : Mais du coup, tu as un gros travail de recherche derrière chaque livre ?
CS : Pas forcément sur mes premiers romans. Mais, peu à peu, je me suis réellement pris au jeu. Désormais, pour chaque nouvelle histoire, je contacte des professionnels pour discuter avec eux de leur quotidien. La Saignée devait avoir des scènes se déroulant dans le milieu de la nuit par exemple. Je suis donc allé interroger des gens qui ont des boîtes de nuit, des équipes de portiers… Toujours avec l’objectif que ce que je raconte soit crédible. La scène du racket de la boîte de nuit, au début du roman, est née de ces discussions. Je n’ai rien inventé ! Mais, avant de discuter avec des personnes de ce milieu, j’ignorais que ce genre de situations pouvait même exister.
QN : Donc tu découvres, en plus, des choses inédites.
CS : Et tout ce qu’il y a dans mes romans, ce n’est peut-être 10 % de tout ce que je découvre, qu’on me fait découvrir. C’est une des choses que j’aime le plus dans ce boulot.
QN : Quelle est ta partie préférée dans ton travail d’écrivain ?
CS : Le plus frustrant, je suppose, est l’attente de trouver les idées. Ce moment où tu trouves ta scène première. Celle qui va lancer le bouquin. La partie que j’adore réellement, c’est celle de l’écriture proprement dite. Mais j’aime tout en fait. Les recherches, les corrections où tu parcours sans relâche ton texte à la recherche de la moindre scorie, la fin quand tu rends enfin ton travail. Vraiment, j’aime tout.
QN : Et le travail promotionnel derrière ? Ce n’est pas épuisant ?
CS : C’est une partie du métier. La littérature, par essence, est un échange. Quand j’écris, je passe des mois et des mois enfermés chez moi. Alors, pour moi, rencontrer les lecteurs en dédicace rend les choses réelles. Cela me permet de garder les pieds sur terre et de me rappeler pour qui je fais ce boulot.
QN : Tu te rends compte du succès que tu as en salon ou pas ?
CS : Je n’arrive pas à le réaliser. Sincèrement, et je dis ça sans fausse modestie, mais quand j’arrive sur un salon, n’importe lequel, j’ai toujours cette peur qu’il n’y ait personne. J’y pense à chaque fois ! En général, évidemment, il y a beaucoup du monde, mais c’est d’autant plus génial pour moi, c’est la plus belle récompense qu’un auteur puisse avoir. Et, bien sûr, chaque événement est différent. Sur les plus gros, tous les auteurs bénéficient d’une foule de gens qui chassent les dédicaces. Il y a aussi de nombreux salons plus modestes, où c’est beaucoup plus cool pour tout le monde, finalement. Mais, petits ou grands salons, je parle beaucoup avec le public. Je me répète, mais un livre est un échange avant tout. Par conséquent, j’adore prendre le temps d’échanger avec les lecteurs. C’est grâce à eux que j’existe.
QN : Mais, à force, ça ne te fatigue pas de tout le temps prendre des photos ?
CS : Bien sûr que non ! Cela fait des souvenirs, c’est tout de même génial d’avoir cette interaction. Je le comprends d’autant plus que je suis moi-même un collectionneur de dédicaces. La plupart des livres de ma bibliothèque sont dédicacés. Alors je sais ce que c’est, de faire la file pour un auteur. Tout comme je suis fan de musique, j’adore aller à des concerts, payer ma place, acheter mon tee-shirt de groupe en bon fan-boy et essayer de passer un moment après le spectacle avec tel ou tel groupe. De la même façon que les lecteurs me permettent d’exister, je sais que ces groupes n'existent que grâce à leurs fans, dont je fais partie, c’est un juste retour des choses. J’ajoute que je ne fais jamais rien par obligation. Je peux encore avoir le droit de dire à mon éditeur que, tel week-end, j’aimerais ne rien faire parce que je suis épuisé ou simplement parce que j’ai d’autres plans. Mais dès l’instant où je me rends quelque part pour dédicacer, je suis heureux de le faire, je me prête au jeu avec plaisir.
QN : As-tu un métier à côté, ou vis-tu de ta plume ?
CS : Non j’ai la chance de vivre de mon écriture. J’ai conscience que nous sommes peu nombreux dans ce cas, mais, dès mon premier roman, je savais que je voulais me consacrer à ce métier à temps complet. Avant cela, je suis passé par divers boulots alimentaires, comme agent de sécurité par exemple. J’en ai eu assez de ces jobs, de ne pas savoir où je voulais aller dans l’existence. Alors, dès ma première publication, j’ai su que c’était ce que je voulais faire de ma vie. J’ai pris le risque de quitter mon emploi, je me suis donné les moyens, et, aujourd’hui, je me lève chaque matin pour faire quelque chose qui me plaît vraiment. Double chance avec le fait que ça marche !
QN : Et tu as déjà avancé dans ton prochain roman ?
CS : Il s’écrit lentement, mais sûrement. Je n’ai pas encore de deadline précise pour le rendre, ou pour la publication. Le luxe d’avoir un peu de succès, c’est que j’ai le temps de faire les choses de façon que je rende quelque chose dont je suis très fier.
QN : Normalement, toujours chez Fayard ?
CS : Normalement, oui. Il se passe toujours beaucoup de choses, en coulisses, dans le milieu de l’édition, c’est parfois une véritable guerre, mais je suis loin de tout ça. Physiquement, je veux dire. J’habite à Toulouse, donc, en province, loin de toute l’agitation parisienne. Je laisse l’éditeur s’occuper de tout le travail de publicité, de distribution, de mon planning de dédicaces… De mon côté, je n’ai qu’à écrire de bons romans et à les envoyer.
QN : Les couvertures, as-tu un droit de regard dessus, ou pas ?
CS : Cela dépend des éditeurs, et de la notoriété, mais, en réalité, pas vraiment. De toute ma carrière, en tout cas, je n’ai jamais eu mon mot à dire, et certains livres ont été publiés avec des couvertures vraiment moches. Avec les éditions Fayard, j’ai vécu une grande première. Ils m’ont proposé une première couverture que je n’aimais pas. Je l’ai expliqué à mon éditrice, qui m’a demandé de préciser pourquoi, et ce à quoi j’aurais pensé. Et, quelques jours plus tard, elle m’a envoyé la couverture actuelle, que je trouve magnifique, et qui a donc été retenue. Ce n’est qu’un détail, mais il est représentatif de l’excellence de cette maison. Finalement, nous avons procédé exactement comme pendant la phase de relecture du roman, quand l’éditrice avait cerné ce qui n’allait pas et m’a fait confiance pour en tenir compte et corriger mon propre texte. Cette fois, c’est elle qui a été à l’écoute de mon feeling, et qui s’est chargée de faire corriger la couverture pour qu’elle soit plus efficace.
QN : Et les quatrièmes de couverture, qui les écrit ?
CS : Ce n’est jamais moi. Souvent, j’avoue que cela m’a fait hurler, parce que les éditeurs s’imaginent qu’il faut raconter la moitié du livre pour espérer le vendre, quitte à en gâcher l’intrigue. Dernièrement, j’ai lu le dernier roman de Claire Favan. J’ai adoré, mais heureusement que je n’avais pas lu le résumé sur la quatrième ! Il y a un moment précis de l’histoire qui a été un véritable plaisir de lecture, parce que je n’y attendais pas. Et je me suis rendu compte, en lisant le résumé après coup, que ce fameux moment est décrit en toutes lettres dans le résumé. Cela m’aurait totalement gâché ma lecture. Maintenant, trop d’éditeurs font cette erreur, et ne semblent rien vouloir entendre. De mon côté, je ne lis plus aucune quatrième de couverture.
QN : Comme les bandes-annonces de films. Et dernièrement, pour rester sur les romans, c’est Le manufacturier. Ils parlent d’un moment qui est à la moitié du livre. C’est dommage parce que cela coupe le roman.
CS : C’est précisé dans nos contrats, en fait. Tout ce qui concerne la couverture, le marketing, est du ressort de l’éditeur. Même le titre, comme je l’ai évoqué tout à l’heure. Si l’éditeur n’aime pas le titre, il se donne le droit de le changer pour le rendre plus vendeur. Globalement, mis à part le texte lui-même, propriété de l’auteur, l’éditeur a tous les droits sur tout ce qui entoure le livre.
QN : Côté actu, on te retrouve où prochainement ?
CS : La saison est bientôt terminée. Après le salon Noir sur Ormesson, il y aura Sang d’Encre à Vienne. Puis je serai à la médiathèque de Montauban le 15 décembre. Et après, pas grand-chose. À partir de janvier, je m’enferme et j’écris. Comme je n’aurai pas de nouveautés, je pars du principe que je ne fais rien sur le premier semestre.
QN : Un petit mot pour conclure ?
CS : Juste un merci à vous de m’avoir accueilli parmi vous. Je trouve génial que des groupes de lecteurs continuent de faire de la lecture un acte social. Quand on lit, on est seul dans son livre, mais une fois qu’il est fini, c’est la porte ouverte aux partages. Et si le roman ne nous a pas plus, c’est l’occasion de critiquer ce qu’on n’aime pas. C’est tellement intéressant, cet échange permanent que permet la création. Et pas forcément que dans la lecture, d’ailleurs. Autre que vous, sur Facebook, il y a le club des mordus de thrillers, qui me fascine parce qu’ils sont partout. J’ai été à une rencontre à Pointe-à-Pitre et j’ai croisé une dizaine de mordus qui sont allés déjeuner ensemble et qui sont ensuite venus. La preuve, encore une fois, que la lecture est un acte qui rapproche et créé des liens entre les gens !
Et voici le jeu du portrait chinois auquel Cédric Sire a bien voulu se prêter avec nous :
Et si tu étais...
...un animal ? Un chat ...un livre ? Le royaume des devins, de clive Barker ...une chanson ? Painkillers de Judas Priest ...un acteur / actrice ? Famke Jensen ...un film ? Hellraiser ...un pays ? La France ...un instrument de musique ? Guitare électrique ...un plat ? Les frites !
...un réalisateur Dario Argento
...une citation ? "Chaque homme et chaque femme est une étoile."
...une saison ? L'été
...un personnage de fiction ? Le roi Conan ...un serial killer ? C’est mal de s’identifier à un serial killer. Mais Hannibal Lecter. Parce qu’il est classe. ...une mort ? Dans son sommeil ...une méthode de torture ? l'écorchage ...un lieu de séquestration ? Une cave. Classique mais ça marche bien. ...un thriller ? Psychose d'Alfred Hitchcock ou Le club Dumas, qui a été adapté par Roman Polanski sous le titre La neuvième porte ...un monstre imaginaire ? Le kraken ...une arme ? Un couteau de chasse
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