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Florent Marotta



QN : Bonjour Florent, est ce que, pour commencer, tu pourrais nous parler de ton parcours ?


Florent Marotta : Mon parcours d’auteur a commencé en 1997, par de la fantasy, un genre dont je suis un énorme fan. Au départ, j’écrivais des romans comme ça, sans prétention. Et j’ai voulu me lancer dans quelque chose de plus professionnel, en structurant mes romans, avec davantage de préparation et en m’astreignant à l’écriture tous les jours. J’ai eu quelques années en autoédition et l’aventure a vraiment démarré en 2014 avec L’échiquier d’Howard Gray, édité par la maison d’édition Rouge Sang, qui n’existe plus aujourd’hui. J’ai commencé comme ça. Ensuite, vu que tout est plus facile une fois qu’on a un pied dans l’univers de l’édition, j’ai pu écrire une suite à ce roman, avec le personnage du premier livre qui a été pris par les éditions Taurnada. J’ai continué avec trois autres livres, très différents de L’inconnu du bataclan et de Voyage au bout de l’enfer. Toujours du thriller, mais écrit de manière plus légère et plus cynique, avec un personnage un peu atypique. Ces deux livres, c’est Le meurtre d’O’doul Bridge et Les ombres d’Oakland. Le premier également édité chez Taurnada, le second chez Eaux troubles en Suisse. En parallèle, j’ai quand même continué à écrire de la fantasy, avec une saga en deux tomes jeunes adultes, qui en aura un troisième que j’ai écrit récemment. Les deux premiers ont été également publiés chez Taurnada mais, pour le troisième comme ils ont arrêté la fantasy, j’essaie de le faire publier ailleurs. En même temps que les deux premiers, dont j’ai récupéré les droits.


Tu t’es mis à écrire simplement à partir de parties de jeu de rôle ?


C’est ça. Comme je jouais énormément avec un ami, les aventures qu’on faisait vivre à nos personnages, j’ai eu envie de les mettre sous forme de roman. Et au fur et à mesure de l’écriture de ces aventures, d’autres arrivaient et je me disais « oh pourquoi pas ? ». Par contre, le truc dont je me souviens le plus c’est, quand j’ai commencé à les écrire, de m’être demandé si j’allais avoir le courage de les faire lire à d’autres. Ça, c’était compliqué. Il faut avoir un peu d’ego pour se dire que ce qu’on a écrit va intéresser d’autres gens.

Sacré parcours, donc. Et tu en es où aujourd’hui, avec tous ces changements de maisons d’édition ?


Après avoir quitté Taurnada pour partir chez Eaux troubles, je n’étais plus satisfait du tout. Donc j’ai gardé les romans que j’ai écrits après, et j’ai eu l’opportunité d’entrer chez Cosmopolis. C’était juste avant le COVID, qui a reporté la parution de presque un an et demi. Maintenant, j’ai deux romans publiés chez eux, ils ont repris en poche Le prix de la vérité et là, aujourd’hui d’ailleurs, j’ai mis le point final à mon nouveau livre.


Il sera publié chez Cosmopolis aussi ?


Je ne sais pas encore parce que c’est compliqué. Pour ceux qui ont lu L’inconnu du Bataclan, vous avez dû remarquer les petits triangles dans le roman. Je suis un peu dépité parce qu’il y a eu de nombreuses corrections. La nouvelle directrice d’éditions l’a relu, j’ai tout validé, mais il y a dû avoir une erreur de son côté parce qu’ils ont laissé ces triangles de corrections, qui servent à repérer les mots à modifier. J’ai été écœuré, car c’est un an de travail qui est gâché dans le sens où ça ne fait vraiment pas professionnel. Je sais que ça ne vient pas de moi, mais j’ai un peu honte. Aujourd’hui, j’en suis à trois livres chez eux, je ne suis plus trop lié par le contrat pour la suite, et vu le tour que ça prend avec le personnel qui change constamment, je ne pense pas que c’est un cadre serein pour travailler. Bien entendu, je ne crache pas dans la soupe pour tout ce qu’ils m’ont apporté, ce n’est pas ce que je veux dire. Je pense juste que j’ai fait ce que j’avais à faire chez eux. En-tout-cas, je ne pense pas que le prochain ira chez Cosmopolis. A voir. Il faut vraiment discuter de tout ça et que les choses s’améliorent vraiment.


Concernant Le prix de la vérité, il a eu une vie avant La mécanique générale ?

Oui, il était exclusivement disponible sur Amazon parce que c’était un roman que j’avais créé dans le cadre d’un concours spécifique à eux. Et comme le roman proposé devait n’être dans aucune maison d’édition mais que j’avais très envie de faire ce concours, j’ai écrit et publié celui-là que j’’ai laissé sur Amazon le temps qu’il devait y rester. Puis je l’ai proposé à Cosmopolis qui, eux, l’ont envoyé à La mécanique générale.

Il a été retravaillé ou pas ?

On a corrigé deux ou trois petites choses avec Loïc (DiStefano), mais il a été pris tel quel.

(flo) On va bientôt le lire avec Noemi. Là, on s’était focalisé sur le dernier, vu que l’objectif, c’était de le mettre en avant, mais on va le lire. Et d’ailleurs, je ne te cache pas que j’ai eu un peu de mal au début. Autant le meurtre de Huttin m’a happé dès le début, autant l’intrigue secondaire m’a dépassé un peu. Et c’est seulement une fois que j’ai compris ce qui allait se passer psychologiquement pour le personnage féminin que j’ai été définitivement dans le roman.

C’est drôle que tu parles de ça. Même si ce n’est pas le personnage principal, on peut dire que c’est un co-personnage principal, tout le monde me parle de Mirin plus que de Huttin.

(Flo) Peut-être aussi que son histoire est plus marquante.

Il y a peut-être de ça.

Et les deux actuellement publiés chez Cosmopolis, tu penses qu’ils sortiront en poche quelque part ?


Ça risque d’être compliqué et il faudrait que je leur pose la question. Le prix de la vérité est sorti en poche directement chez eux et je ne sais pas ce qui est prévu dans le cas où il y aurait une sortie poche ailleurs.


Parce que le constat de lecteur qu’on a fait, c’est que de tous les romans publiés en grand format chez Ring/Cosmopolis, aucun n’est sorti en poche derrière.


Je ne sais pas trop ce qu’ils veulent faire, honnêtement. Je vais leur poser la question. Ça serait bien, parce qu’avec la crise du papier, le secteur de l’édition ça devient un peu dur et quand on voit qu’en ce moment, le prix du broché approche les 25 euros, ça commence à faire un sacré budget. Certains lecteurs attendent la sortie du format poche, mais on voit bien que certains livres, parfois, n’arrivent pas dans ce format. Tu penses que maintenant que tu as été édité plusieurs fois, il sera plus simple pour toi de trouver une nouvelle maison d’édition ? Oui, enfin, j’espère. Mais je pense que c’est surtout plus facile car, à mon modeste niveau, je suis plus connu qu’en 2014. Il y a eu un prix qui fait qu’on me connaît un peu mieux et à force de parcourir les salons, j’ai rencontré du monde. Si on ajoute à ça que j’ai un agent depuis août 2022, j’espère que tout ça va m’aider un peu. J’aimerais beaucoup gravir les échelons et je pense que ce qu’on espère tous, c’est d’être lu par le plus grand nombre. Et pour ça, il faut franchir des paliers. Mais sans oublier que le moteur des maisons d’édition, ce sont quand même les auteurs…

Quand tu parlais, tout à l’heure, de la peur de faire lire tes écrits, comment tu perçois les critiques négatives du coup, maintenant ?

Je les perçois en me disant que j’écris pour ceux qui aiment mes livres. Je ne dirai jamais rien à des personnes qui font une mauvaise critique, ils ont le droit de ne pas aimer. Mais des fois, j’ai un doute quand j’en lis et que je vois que la personne n’a pas compris ce que j’ai voulu dire. Parce que je me dis que, peut-être, c’est moi qui l’ai mal exprimé. Sinon, je ne me focalise pas trop dessus.

Tu as un autre métier en dehors d’écrivain ? Je travaille dans une petite mairie dans la Loire, dans un village qui fait à peu près 5 000 habitants. J’y suis depuis 15 ans maintenant. Je ne sais pas si vous connaissez ma biographie mais je suis à la retraite de l’armée depuis 13 ans maintenant. J’ai fait une carrière militaire chez les parachutistes et en gendarmerie. J’ai été officier de police judiciaire et au bout de 16 ans, je suis parti à la retraite. Et aujourd’hui, mes revenus d’auteur ne sont pas suffisants. Vivre de ses romans, c’est compliqué, donc pour l’instant, je travaille à côté. Comment tu t’organises du coup, pour l’écriture ? Tu as un planning ? J’essaie d’écrire tous les jours. Ce n’est pas toujours le cas. Hors préparation ou période entre deux romans, je pense que j’écris six jours sur sept dans la semaine. Par contre, la durée est variable. Ça peut être quatre ou cinq heures dans la journée, voire parfois plus, et avec le travail, c’est souvent deux heures à peu près. Comment trouves-tu ton inspiration ? Là, par exemple, tu viens de finir ton roman, tu prends peut-être une petite pause pour souffler et déconnecter, mais à partir de quand te remets-tu à écrire ? Très souvent, j’ai l’idée pour en écrire un autre quand j’écris celui d’avant, je ne sais pas pourquoi. Pour les thrillers, c’est souvent un fait divers, quelque chose dont j’entends parler, et qui se passe à la TV. Par exemple, celui que je viens de finir parle du fait qu’un homme politique ou influent est systématiquement accusé de viol lorsqu’il devient menaçant. Une idée qui est née en entendant parler de tous les scandales autour des députés. Évidemment, sans prendre parti, mais juste avec l’idée d’un organisme ou d’un homme qui se dirait « tient, lui devient dangereux et on va l’accuser de ci ou de ça ». Et j’adore cette phase de préparation de mes romans. Elle me permet de ne pas partir à l’aventure. L’idée nait et après je travaille et je prépare le plan. Tu fais donc beaucoup de recherches ? Oui, mais ça dépend desquels. Pour celui que j’ai en cours, par exemple, il y en a beaucoup moins parce que c’est totalement de la fiction. Il ne se passe pas en Syrie comme dans le dernier. Mais pour d’autres, comme pour L’inconnu du bataclan, j’ai lu pratiquement une douzaine de livres sur le sujet. Entre terrorisme, islam et plein d’autres choses. J’ai aussi regardé beaucoup de documentaires sur les yézidies et sur ce qu’il s’est passé avec Daech et les esclaves là-bas. En général, je prends des notes et sur un petit cahier, je me découpe des onglets où je catégorise ce qui est là pour l’intrigue, pour l’ambiance… Donc oui, il y a beaucoup de recherche qui prennent pas mal de temps, mais tout n’apparaît pas dans les romans. Pour voyage au bout de l’enfer, c’est pareil, j’ai dû énormément me renseigner sur l’anthroposophie et les sectes. J’ai dû beaucoup lire dessus, parce que c’était un sujet extrêmement dense et, même si je n’ai rien de particulier contre l’anthroposophie, je me suis bien rendu compte qu’il y a des choses bizarres…

Comment est-ce que tu te documentes ? Parce que, dans tes romans, il y a beaucoup de détails très précis que j’ai également vérifiés sur Internet. Par exemple, par rapport aux différentes guerres qu’il y a eu. Ce n'est que du renseignement ou de l’expérience vécue ?

En fait, toute la partie combat et armes, j’ai moins besoin de fouiller, même si je dois faire quelques mises à jour, notamment avec la France, qui vient par exemple de remplacer tous ses fusils d’assaut. Mais, par exemple, la guerre au Sin jar, j’étais au courant en tant que spectateur, par rapport à ce que j’avais vu dans les médias. Je n’y étais pas donc je n’avais pas les détails. Ceci dit, certaines batailles sont vraies, les gentils devenus complètement fous aussi. J’ai beaucoup lu là-dessus, notamment le roman d’un Français parti rejoindre les Kurdes qui m’a beaucoup inspiré. Voir son trajet, regarder les endroits qu’il a traversé avec Google Maps, regarder les reportages de guerres qui ont été faits là-bas, les procès de ceux qui en revenaient. Il y a beaucoup à dire et sur toutes les notes que j’ai prises, je n’ai même pas tout mis.

Donc pas d’aide extérieure non plus, vraiment juste toi ? Pas d’historiens par exemple ?

Non, sauf sur la partie en prison. Mon frère travaille en milieu pénitentiaire et m’a permis de prendre contact avec ceux qui font les renseignements au cœur de la prison. J’aurais probablement pu trouver sur Internet, mais j’ai profité de l’occasion d’avoir quelqu’un de disponible. Et c’est mieux de parler à une vraie personne.

Oui, même pour éviter le décalage entre ce qu’on voit sur Internet et la réalité.

Et même avec ça, j’ai peut-être dit des conneries sur certains trucs. J’essaie de coller au maximum à la réalité tout en gardant en tête que c’est un roman et qu’on peut bien se permettre quelques entorses de temps en temps sur certaines choses. Le plus grand risque dans ce cas-là, c’est de tomber sur un professionnel. Parce que ce qui passera chez 95 % des gens, ne passera pas chez lui, justement parce que c’est son travail.

Tu fais de la reconnaissance de terrain quand c’est possible ? Pas tout le temps. Il se trouve que Paris, j’y ai habité donc les endroits, je les connais. Pareil pour l'Assemblée nationale, j’y ai travaillé. Mais sinon, non, c’est ce qui rends internet si formidable. C’est effectivement mieux d’y aller, mais maintenant, on a accès à tout. Déjà avec Street View, ça arrive seulement en France, mais aux Etats-Unis, on pouvait entrer dans les magasins. Et puis tu peux aussi trouver des infos jusque dans la littérature. Pour un de mes romans, j’ai été lire des poètes, par exemple, pour voir comment eux, décrivaient la sensation des embruns à San Francisco. Et j’ai un jour une dame qui est venue me dire qu’elle y avait vécu et que ça lui avait rappelé des souvenirs. Donc j’étais content vu que je n’y avait jamais mis les pieds.

Un peu comme Jacques Saussey, qui a écrit tout son dernier roman à la Réunion sans jamais y être allé. Et c’est super bien fait !

Il faudra que je le lise alors, parce que j’y ai habité pendant deux ans. Mais j’imagine qu’il a vu beaucoup de vidéos de gens qui se sont filmé là-bas. Encore une preuve que, maintenant, c’est assez simple de tout trouver sur Internet. Il faut le faire quand même, cela dit. En plus, il est chez Fleuve maintenant, et c’est une maison chez qui j’aimerais bien aller.

Donc, tu travailles ta structure et après seulement tu fais ton plan ?


J’ai une méthode très cadrée que j’ai apprise avant d’écrire le visage de Satan il y a 8 ou 9 ans. J’avais vu une masterclass avec un docteur américain qui s’appelle Christopher Vogler. Il avait été invité par Alexandre Astier à Lyon et ils avaient fait une grosse conférence sur la façon américaine d’écrire un roman. Notamment l’intrigue en trois actes et tous les passages obligés dans un récit. Je me suis beaucoup inspiré de cette formation-là et, depuis, j’ai lu d’autre livre comme Anatomie du scénario de John Truby, qui expliquent les mécanismes des histoires. Je me sers de tout ça. Il y a des choses que je veux voir dans mes romans et dont je me sers pour en faire la trame. Une fois que je commence à écrire, j’ai un plan de A à Z. J’écris un certain nombre de chapitres, chacun d’entre eux est détaillé de quelques phrases, et, du coup, avant de commencer à écrire le chapitre d’après j’en connais déjà le début, le milieu et la fin. Tu t’en tiens toujours à ta structure ? En général, oui, même s’il m’arrive de changer des éléments. Parfois, je m’aperçois que cela ne fonctionne pas aussi bien que ce que je pensais ou que c’est découpé et que ça ne tombe pas au bon moment. Mais la structure reste généralement celle que j’avais au départ. Quelquefois, juste cette phase de préparation peut durer trois ou quatre mois. À peu près autant que la phase d’écriture, je pense. Ce qui fait que, au final, on peut peut-être trouver que je vais plus vite que quelqu’un qui ne part de rien, mais le temps gagné sur l’écriture, c’est le temps que j’ai pris à la préparation. Il y a peut-être aussi moins de travail d’édition, du fait de cette préparation ? Je ne sais pas vraiment, parce qu’il y a beaucoup de travail de relecture. J’écris vraiment à toute vitesse et je ne reviens jamais sur ce que j’ai écrit avant. Donc répétitions, corrections… Mais oui, c’est vrai qu’il y a beaucoup moins de travail de structure. Ça m’est arrivé, mais maintenant beaucoup moins. Par exemple, sur L’échiquier d’Howard Gray, on m’avait complètement fait changer la fin et j’avais dû réécrire un chapitre. Et c’est quoi ta recette, au milieu de tout ça, pour fabriquer tes personnages ? D’une manière similaire à la structure. Je prends le personnage comme une intrigue. J’ai l’idée qui vient et après, je le développe. Je veux que mes personnages aient une faiblesse donc j’essaie d’en intégrer une à l’un ou à l’autre et je regarde l’évolution. Pour Lucie dans Voyage au bout de l’enfer, on comprend bien comment elle évolue avec son problème vis-à-vis des hommes. Mon personnage de manière globale est construit comme ça. Il démarre le roman avec un certain état d’esprit qui va lui donner une certaine image de sa vie, qui va être différent de celui avec lequel il arrivera à la fin. J’aime bien prendre cette image de la personne trahie par son conjoint, qui ne croit plus en l’amour. Au départ du roman, il en est là parce que son passé est sa réalité d’aujourd’hui. Et ce qu’il lui arrivera dans son arc va le faire réagir par rapport à ce qu’il est et soit l’améliorer, soit l’enfoncer. Je n’aime pas que les personnages soient parfaits. Ça fait très vite super-héros et les super-héros, on n’a pas grand-chose à leur faire faire. J’aime plutôt le fait qu’ils aient des failles, qu’ils commettent des erreurs… En même temps, c’est vrai que dans le polar, on a souvent du vu et du revu, donc il faut avoir ce petit truc en plus pour sortir du lot. Tu as raison, mais je ne le vois pas comme ça pendant l’écriture. Je ne me dis pas qu’il faut que j’aie ce petit truc en plus. Cependant, j’aime que les gens apprennent quelque chose dans mes livres. Par exemple, j’ai été très content quand tu m’as dit que tu étais allée voir sur Internet ce qu’était vraiment l’anthroposophie. Chaque fois, je me dis qu’il y a plein de choses à voir pour qui à la curiosité d’aller plus loin. Et j’aime avoir cette structure en trois parties bien différentes. Que ce soit vis-à-vis des personnages, d’une seconde temporalité… Mais je ne me dis pas que je le fais pour me démarquer. Juste que c’est quelque chose qui me plaît au moment où je le fais. Mais du coup, ça en devient un peu ta signature. À mon avis, tes livres ne s’adressent pas forcément à tous les lecteurs justement parce que tes romans sont des livres qui sont riches et denses. Tu ne lis pas ça en te disant que c’est un livre où tu lis quelques pages tous les dix jours. Ce sont des livres où il faut s’accrocher un peu, le lire au calme… De la même façon que ce ne sont pas des sujets évidents. Pour certains, ce sont même des sujets un peu dérangeants. Mais ça en fait ta marque de fabrique. Si c’est perçu comme une marque de fabrique, ce n’est pas plus mal.

(Océane) Mais c’est vrai que ça rajoute du réel et personnellement, j’aime bien ce genre de livre. Je suis bien consciente que ça ne plaît pas à tout le monde parce que ça donne des livres assez denses. Mais je trouve ça très enrichissante, parce que c’est une manière détournée de se renseigner.

Eh bien, merci, c’est gentil. C’est comme dans Le prix de la vérité, un moment, je parle des hôpitaux psychiatriques. Je n’y suis jamais allé, mais j’ai une connaissance qui travaille dans le milieu psy qui m’a dit que c’était assez fidèle. Et quelquefois, j’obéis à une règle qui est que si c’est un milieu très spécifique et que ça ne sert pas l’histoire, je fais en sorte de rester très vague. Je m’en sers davantage comme une mise en ambiance, plutôt que me dire que je suis dans la tête du psychiatre.

Je pense aussi que ceux qui ont aimé auront facilement tendance à aller vers tes prochains romans en se disant qu’ils vont avoir quelque chose d’original qui va m’apprendre des choses et me faire travailler l’esprit. C’est ça. De mon côté, je me dis simplement que je vais apporter quelque chose d’original aux gens, qui va les surprendre. Je préfère que les gens se disent qu’on n'attendait pas ça de moi que de devenir quelqu’un de très connu, mais avec toujours la même recette. Et je dis ça aussi parce que le prochain roman est complètement différent. Tes précédents romans sont toujours disponibles ? Oui, totalement. Le visage de Satan et le meurtre d’O’doul Bridge sont toujours disponibles chez Taurnada et normalement, vu qu’Eaux troubles ont toujours les droits, on doit encore pouvoir commander Les ombres d’Oakland chez eux.


Est-ce que tu es attaché à tes personnages ? Par exemple, comme d’autres auteurs qui ressentent un manque à la fin du roman, comme s’ils quittaient des amis…


Pas vraiment. Quoique pour la fantasy un peu plus peut-être. Déjà, du fait que ce soit une saga, mais également le fait que j’y ai passé beaucoup de temps. C’est très étrange et compliqué à expliquer mais la fantasy a un côté plus attachant. Peut-être lié au fait de tout inventer. Pour les thrillers, oui, j’y suis attaché aussi, mais je ne suis pas nostalgique à la fin. Je n’y pense pas vraiment et je tourne la page. D’ailleurs, quelques fois, j’ai même hâte de finir, parce que, je vois pour le dernier, j’ai hâte de passer à autre chose et d’essayer de prendre le temps d’écrire tout ce que je veux écrire.


Tu es lecteur ? Mais pour d’autres sujets que ta documentation ?


Oui, bien sûr. D’ailleurs, juste derrière moi, j’ai toute la saga de La roue du temps. Je lis beaucoup de fantasy, c’est vraiment le genre que j’adore. Mais je lis aussi beaucoup de thrillers. En ce moment, je découvre quelque chose par une maison d’édition avec qui j’ai échangé, c’est les cosy-mystery. Du coup, je suis en train de lire Les voisins d’à côté de Linwood Barclay. C’est un style que je ne connais pas, que j’imagine un peu à la Desperate housewives en plus thriller et en moins romancé. Mais ce n’est vraiment pas mal du tout.


(Flo) J’en ai lu un, l’année passée, j’ai plus le titre en tête. Mais ce n’est pas mal ce genre d’histoire en vase clos…


C’est ça. Un petit quartier, des voisins que tu crois connaître... Mais du coup, j’ai voulu voir un peu ce que c’était et si je serais capable d’écrire un roman comme ça… Honnêtement, Linwood Barclay, c’est une très bonne surprise pour moi du coup. Même si on sait très rapidement ce qu’il s’est passé, je me suis demandé comment ce qui allait arriver derrière. Donc j’ai essayé d’analyser un peu la façon qu’elle a d’écrire et d’amener son histoire. Et elle a réussi à me tenir en haleine sur 500 ou 600 pages alors qu’à la quarantième, je savais ce qu’il s’était passé. Mais sinon, je lis plein d’autres choses. Là, dernièrement, j’ai lu un Christophe Royer par exemple.


Tu restes quand même majoritaire dans le noir.


Voilà, principalement noir et fantasy. Pas de romance, de classique… Après, si, je lis pas mal de young adult par moment. En ce moment ma fille lit un roman qui s’appelle Le collège maléfique de Cassandra O’Donnell. Et je dois avouer que j’aime beaucoup. On se prend un petit moment le soir et on lit ça. Elle finit un tome, elle me le prête derrière…


(Franck) Et quand tu parlais tout à l’heure de La roue du temps, tu as vu la série sur Amazon prime ou pas ?

Oui et j’ai détesté.

(Franck) J’ai découvert cette saga il y a si longtemps, je crois que ça doit être la première série de fantasy que je lisais. Et je me suis demandé si ça valait le coup de voir l’adaptation.


Non, il ne faut pas. Je suis un énorme fan de la saga et j’ai détesté pour plein de raison. Mais surtout parce qu’ils se sont sentis obligés d’aller trois fois trop vite. C’est une série fleuve qui a énormément de livres, et il y a eu énormément de péripéties autour. Notamment trois traductions différentes. Elle vient de se terminer en France, mais aux Etats-Unis, ça fait presque dix ans qu’elle est terminée. Par contre, attention, j’ai bien aimé la voir en image. Mais ils ont fait trop de raccourcis, ils ont supprimé trop de trucs. C’était de toute façon impossible à adapter, il aurait fallu faire quelque chose sur des saisons et des saisons… Peut-être que ceux qui n’avaient pas lu le livre ont aimé la série. Mais personnellement, et comme beaucoup de fan hardcore, je pense, j’ai pas du tout aimé.


(Franck) Donc peut-être voir avant de relire justement, pour n’avoir que le mieux derrière ?

Oui, mais c’est aussi à double tranchant parce que quelque chose d’aussi long que La roue du temps, même en étant très fan, j’ai trouvé qu’il y avait pas mal de longueur. Et donc le risque, c’est d’avoir l’action de la série, mais la flemme d’aller au bout du livre parce que tu sais déjà où tu vas atterrir.

Tu aimerais écrire d’autres thrillers sur d’autres conflits, ou sur un autre aspect de la guerre ?

Non, pas vraiment. En 95, j’étais en ex-Yougoslavie, à Sarajevo, où se passe une partie du livre Le manufacturier. Quand j’étais à l’armée, j’y suis allé avec les casques bleus et c’est une expérience sur laquelle il me titillait d’écrire. Le problème, c’est que je n’avais pas vraiment d’histoire qui venait avec. Et on m’a déjà demandé pourquoi je n’écrivais pas sur ce que je connaissais de l’armée. En fait, dans tous mes romans, il y a un militaire qui traîne, ou quelque chose que je tire de mon expérience. Mais je ne veux pas me cantonner à ça. Et quand on me dit qu’il faut écrire sur ce qu’on connaît, je préfère relever le challenge d’écrire sur ce que je ne connais pas. On verra. Pour l’instant, ce n'est pas prévu.

Il y a des sujets qui te trottent dans la tête que tu aimerais aborder ?

Plutôt un genre. Celui de la fantasy. J’ai un projet depuis très longtemps pour lequel je remplis un drive Google d’idée. Que ce soit des scènes, des cartes… Mais je ne sais pas du tout quand est-ce que je vais commencer à l’écrire parce que quand je me lancerai dans celui-là, je ne ferai plus rien d’autre. Et là, j’ai tellement de projets ailleurs que je ne sais pas quand je pourrai commencer. En ce moment, j’ai trouvé une dessinatrice pour un projet de comics-book. Elle est en train de travailler au design du personnage, et moi, dès que j’ai mis le point final au roman que je suis en train d’écrire, et c’est une question d’heure, je me mets tout de suite sur l’histoire. Je pense que ça va durer deux mois environ. J’ai aussi une nouvelle que j’aimerais terminer pour la proposer à la Furia, un projet pour jeune adulte… Et j’aimerais beaucoup reprendre des projets de thrillers avec une teinte de fantastique. J’en ai discuté avec Cédric Sire qui, lui, est reparti sur du pur thriller. Mais encore une fois, je ne sais pas, parce que ça paraît être une niche à part.

On a Sandrine dans notre groupe, qui aime quand c’est teinté de fantastique…

Eh bien, il y en a dans Le visage de Satan. Mais c’est uniquement du fantastique suggéré. Ce qu’on appelle la magie blanche. En fait, c’est l’histoire d’une femme qui va refuser de croire que la mort de son mari est une mort naturelle et elle va se rendre compte qu’il y a tout un milieu sectaire avec un personnage persuadé qu’il peut faire revenir le mal sur terre. J’ai un personnage très rationnel qui va s’allier à quelqu’un de très porté sur l’esprit, ce qui donne le constant doute sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Alors par contre, c’est un second tome. Le premier, c’est L’échiquier d’Howard Gray. Ça reste deux histoires différentes et indépendantes, mais le personnage évolue d’un livre sur l’autre, avec une mentalité assez différente. Mais pour l’histoire en elle-même, ce n’est pas gênant. Il faut surtout se dire que ça peut peut-être spoiler un peu les évènements du précédent. Mais pourquoi pas commencer par le suivant.


Alors, par contre, ici, on a pour beaucoup le TOC de la saga, on se sent obligé de le lire dans l’ordre.


Donc, il faut lire L’échiquier d’Howard Gray en premier. Mais il n’est disponible que sur Amazon par contre. Quand la maison d’édition a fermé, j’ai récupéré les droits et comme le visage de Satan était chez Taurnada, je me suis dit qu’il fallait qu’il soit disponible aussi. Mais comme il était en autoédition, je n’ai pu le mettre que sur Amazon, en attendant. Il reste quand même comme mon tout premier roman édité chez une maison d’édition.


Tu as prévu une suite à L’inconnu du bataclan ou pas ?


Non mais, vu la fin, je m’attendais à cette question. On me pose beaucoup la question mais la fin était voulue comme ça. C’est vraiment comme ça que je l’avais imaginé. Ensuite, j’avais aussi j’ai peur que ça ressemble trop à Guérilla et je ne veux pas faire quelque chose qui a déjà été fait. Je préfère laisser les gens imaginer ce que le personnage va faire derrière.


(Noemi) Oui, on est assez d’accord. C’est une fin ouverte et c’est parfait. Et puis je suis aussi en train de me dire que c’est un peu bizarre de dire qu’on a aimé ce livre par rapport aux thèmes qu’il aborde… (Flo) c’est pour ça qu’on se dit des fois que ce n’est pas le bon moment pour lire tel ou tel livre. Pour celui-là, quelqu’un comme toi, qui a aimé le manufacturier va aimer ce livre-là, ce n’est pas un problème. Mais, par contre, il faut bien l’ouvrir en se mettant en tête que ce ne sera pas une romance de Noël.

Ce que je peux vous dire, c’est que je l’ai écrit dans cette optique-là. Je l’ai écrit pour qu’il soit dur. Quand on écrit un livre, on choisit ce qu’on révèle. Et on peut très bien en montrer moins. Mais pour comprendre Mirin, il fallait passer par ce qu’elle a traversé et, oui, c’est dur.

(Marie) Et il y a surtout que c’est quelque chose qui s’est passé en France. Qu’on essaie de ne pas oublier, mais de pas non plus rendre omniprésent. Pendant un long moment, j’ai eu une forme de peur dès qu’il y avait un peu de monde, et ce roman replonge encore dans cette sorte d’angoisse, même si ce n’est qu’évoqué. Le simple fait de passer dans l’envers du décor, ça ajoute une couche.

(Noemi) D’ailleurs, j’ai une connaissance qui m’avait dit que c’était rude d’utiliser le Bataclan dans le titre. Je ne sais pas si on t’en a déjà parlé ?

Tu m’aurais demandé avant la sortie, je n’aurais pas pu te répondre. Maintenant, un peu plus parce qu’en fait, c’est surtout à Toulon que ça m’a marqué. Au départ, je n’ai absolument pas pensé le titre comme un titre « putaclic », si on m’excuse le terme. Ça collait parce qu’il y a cet inconnu du bataclan, mais au final, c’est vrai que le bataclan c’est 1% du roman. Et ça a été aussi au point qu’à la sortie du livre, à Toulon, il y avait des gens qui voyaient marqué « Bataclan », ils partaient. On voyait sur leur visage que ça leur faisait peur. Et ce n’était absolument pas l’effet que je voulais que ça fasse. Surtout, il y a des gens qui sont venus me voir, dont le patron du RAID, qui est intervenu au Bataclan et qui était à côté de moi en train de vendre son livre aussi, et qui m’a demandé si ça parlait du Bataclan. Et je lui ai répondu non. Mais c’est à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience de la portée du truc. J’ai eu des gens qui sont venus me voir et qui avaient perdu des proches là-bas. C’est vrai que je ne m’attendais pas à ce rejet là, mais encore plus qu’on pense que ce titre était là pour faire vendre. Et voilà, ceux qui l’ont lu savent que ce n’est absolument pas à propos de ça. C’est en filigrane.

(Marie) Oui comme moi. Je n’aurais pas pris le temps de lire le résumé, je l’aurais jamais lu parce que ça m’aurait fait peur. C’est trop tôt.

(Noemi) De mon côté, je ne sais pas si c’est le fait que je sois suisse et que, du coup, ça m’a moins impacté, mais je n'ai pas eu ce recul-là. Pourtant quand c’est arrivé, je me souviens que j’avais eu du mal à dormir. Pourtant, c’était loin de chez moi et dans un autre pays.

C’est vrai que j’aurais pu prendre un fait totalement fictif pour ramener le même sujet derrière et faire la même histoire en parlant d’un attentat totalement inventé. Mais je ne me suis pas posé la question et je l’ai juste fait comme ça.

Mais est-ce qu’il aurait été aussi immersif et réaliste ? Parce qu’il y a aussi des références à ce qui était arrivé le 14 juillet sur la promenade de Nice. T’as l’impression d’être immergé dans ce contexte terroriste et on a tous ressenti les émotions qu’on a eues à ce moment-là.

C’est clair qu’il n’aurait pas été pareil. Et le passage sur l’attentat de Nice, j’en parle tel que je l’ai entendu dans un documentaire que j’ai vu. Ceci étant dit, je suis assez fier de Mirin, de ce personnage et de ce que j’en ai fait. Après, c’est ma création donc c’est normal, mais je suis content de voir qu’elle plaît aux gens.

(Alex) Personnellement, j’ai beaucoup aimé ce côté banlieue que j’ai retrouvé de Territoires d’Olivier Norek par exemple et le côté plus militaire de Mirin. C’est le même genre de livre que Le manufacturier, avec le contexte de guerre qui fait que je me plonge tout de suite dedans. Je crois qu’il a été lu en deux jours de mon côté. Après, mon métier fait aussi que je n’ai probablement pas la même approche.

C’est aussi ça qui est bien, c’est qu’on a tous une sensibilité propre à chacun.


(Noemi) Et pour Voyage au bout de l’enfer ? Parce que j’ai beaucoup aimé Lucie et j’aimerais bien la retrouver.


Alors, elle, peut-être qu’elle reviendra. Pour deux raisons. D’abord, parce que c’est celui qui a le plus plu. Et que mon agent, quand il regarde côté traduction, il voit que c’est celui qui est le plus demandé. Et il y en a qui veulent son retour parce que les personnages féminins forts, ça plait. Donc cette porte-là n’est pas fermée et peut être un jour. Mais elle a déjà bien évolué et il va falloir que je trouve autre chose. En plus de ça, je n’avais pas prévu du tout de suite.


(Noemi) C’est vrai qu’on a vraiment cette impression que ce n’est pas la même personne entre le début et la fin.


C’est ça qui me plaît. Les faire passer par toutes ces épreuves et voir où ça les mène.


Tu as des petites anecdotes de salon à raconter ?

Il m’en est arrivé quelques-unes et il y en a certaine que j’aime bien raconter. Un jour, une femme vient, dans un salon et regarde mes livres en me posant plein de questions. Et quand elle repart, je lui demande si elle en veut un, ce à quoi elle me répond « Ah non, mais moi, je ne lis pas du tout ». Et ça m’a fait rire parce que c’est une personne qui est venue dans un salon du livre alors qu’elle ne lit pas. Et sinon, à Sang d’encre, qui est un salon quand même assez célèbre. Les auteurs rentrent toujours un peu avant, mais il y a toujours des lecteurs qui sont déjà là. Dans l’ancienne salle, il y avait quelques marches qui menaient au festival et je suis arrivé en même temps que Michel Bussi. Et quand on est arrivé, les gens déjà là se sont mis à applaudir. Ça nous a fait rire parce qu’à l’époque personne ne savait qui j’étais, mais je me souviens d’avoir dit à Michel en rigolant : « écoute, ne dis rien, on dira que c’est pour moi ! ». C’était un moment de fausse gloire qui m’a fait rire.





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