Il a côtoyé des agents du FBI tout autant que des terroristes djihadistes, ce qui en a fait l'homme qui a, sans même le savoir et dans le bon sens du terme, impressionné le quartier noir. Pourtant, il aura suffi de quelques minutes pour savoir que deux heures de rencontre allaient être trop courtes. Rencontre avec Pierre Rehov, accompagné de Loïc Di Stefano, son éditeur.
Quartier Noir : On va commencer par le premier sujet, qui nous a posé pas mal de questionnements : pourquoi cette volonté de ne pas se classer dans un genre ?
Pierre Rehov : Eh bien, c'est simple, je déteste l'idée même de la classification. Avant que les médias ne décident que telle ou telle œuvre entre dans telle ou telle case, on avait aucun classement de genre. Quand on lisait un livre, on lisait surtout un auteur qu'on aimait. Quand je me lance dans l'écriture d'un roman, je n'arrive pas à me dire "Hop, là, j'écris un thriller, avec les codes du thriller ! ". Il fut un temps où j'ai, par exemple, écrit beaucoup de romans de gare. Ces romans ne rentrent dans aucun genre. C'est le style de livre qu'on achète à un endroit pour le jeter à un autre, une fois consommé.
QN : Mais alors comment vous définissez vos livres, j'imagine qu'à un moment, l'éditeur doit bien le faire rentrer dans une case ?
Loïc Di Stefano : Côté éditeur, ce qui prime, c'est surtout l'ambiance. Dans un roman atypique comme ceux de Pierre, c'est ce qu'on va regarder. Et de notre côté, ce qui colle, c'est l'étiquette "roman noir".
PR : Aujourd'hui, j'ai écrit deux romans chacun dans un genre différent que j'ai classé sous l'étiquette "thriller ésotérique", 88 et Ted. Mais quand je les ai écrits, je ne voulais pas entrer dans la mode importée par Dan Brown avec le Da Vinci Code. Pour 88 par exemple, j'ai lu un grand nombre d'articles sur le nazisme, je me suis documenté sur l'Indonésie. Et au final, ce que je fais c'est un travail de journaliste. J'ingère une grande quantité d'information et je retransmets. Et pour en revenir à la classification, j'ai vu que quelqu'un avait surnommé ma littérature, de la littérature "grise".
QN : Ce qui est drôle avec ça, c'est que c'est un vrai délire de lecteur. Quand on a lu Amnésia, ça ne correspondait ni à un thriller, ni à un policier classique. Mais en même temps, on n'y retrouvait pas de littérature blanche. Le compromis a donc été d'appeler ça, "littérature grise".
PR : C'est une assez bonne définition. Après, je suis quelqu'un qui vient du cinéma et la visualisation est très importante. J'écris ce que je vois. Par contre, Amnésia a été spécial parce que c'est la première fois que je mêle vraiment mon réel à la fiction. La maison est une maison dans laquelle j'ai vraiment vécu, les voisins étaient vraiment mes voisins et il y avait vraiment un bateau à l'arrière. Si le réel se mêle au fictif, Amnesia, c'est la première fois que j'y mêlais vraiment la réalité.
QN : Combien de temps a pris l'écriture d'Amnésia ?
PR : Il m'a fallu 2 mois pour l'écrire. J'écris rapidement, mais aussi du fait de la méthode. Ce que je fais, c'est que j'écris, j'écris et je continue d'écrire. Le lendemain, je relis ce que j'ai écrit, en le corrigeant et le fait de relire, ça entraîne tout de suite la suite.
QN : Et 88 ? Qui est plus fourni en termes de données historiques ?
PR : 88 a été un peu différent. Pour lui, j'ai déjà passé 6 mois de recherches et de lecture sur Hitler et l'ésotérisme. À la base, c'est un roman dont j'avais écrit un premier jet pour Belfond. Ils ont refusé le manuscrit. Je l'ai alors envoyé à David [Serra, directeur de Ring/Cosmopolis], qui lui m'a juste gratifié d'un "Bof". Et lorsque je l'ai relu, il y avait effectivement plein de chose qui n'allait pas. Sur 600 pages, sans exagérer, j'ai dû en jeter 500. A suivi un second jet où j'ai tout corrigé et qui a été publié chez Cosmo.
QN : Et parmi vos livres, qui parlent de sujets assez variés, vous en avez déjà écrit sur le terrorisme ?
PR : Pas entièrement, mais j'en parsème beaucoup mes romans. Cellules blanches par exemple, est beaucoup axé sur le terrorisme. Tu seras si jolie aussi même si c'est différent, car j'en ai fait un parallèle entre deux sociétés, celle d'une jeune fille qui se transforme pour de la téléréalité et celle d'un adolescent qui se radicalise. Ce roman m'a permis de mettre en avant la psychopathologie du terrorisme, ils ont un autre état d'esprit. Un soldat qui part au combat, il y va avec un état d'esprit de survivant. Il sait qu'il a de grandes chances d'y réchapper. Un terroriste suicide, lui, sait qu'il va mourir. C'est son but. Un soldat et un terroriste, ce sont deux approches différentes. Et c'est différent jusque dans leur spiritualité, car dans leur culture, ils ont une peur panique de la tombe et pour eux, ils montent directement au paradis.
QN : Et c'est en vous intéressant à l'aspect psychologique que vous en êtes arrivé plus tard à devenir profiler ?
PR : Je ne suis pas vraiment devenu profiler, mais oui, c'est à peu près ça, et c'est une chance que pas beaucoup ont eu. Par mon passé de reporter de guerre notamment, j'ai passé pas mal de temps avec des terroristes islamistes. Et j'y ai passé pas mal de temps en tant qu'humain. C'est-à-dire que je me débarrasse du masque du jugement pour endosser celui de la curiosité, celui qui donne envie de comprendre le chemin psychologique derrière tout ça. Le lavage de cerveau dont ils sont victimes est fascinant. Et par le fait d'avoir fait ces interviews, je me suis retrouvé à un moment dans ma vie à discuter avec la police new-yorkaise. Et de la police new-yorkaise, je me suis retrouvé un beau jour à faire une conférence devant une assemblée de profiler du FBI où je parle justement du terrorisme islamique. Et avec tout ça, je peux quand même avouer qu'écrire un roman est une aventure beaucoup plus reposante.
QN : Justement, par rapport à vos rencontres, c'est une question peut être un peu plus personnelle, mais comment on vit quand on sait qu'un attentat peut arriver, que la personne en face de nous pourrait nous tuer juste parce que c'est ce à quoi elle est formée ?
PR : Déjà, ça change forcément la vision qu'on a de l'humanité. On sombre dans un côté plus réaliste tout en perdant cette naïveté d'espoir en l'autre, tout en se disant que n'importe qui peut devenir une abomination humaine. Mais après, je pense que ça dépend énormément de son parcours personnel. Peut-être que si demain, on tuait mes enfants, je serais capable d'aller massacrer ceux qui ont fait ça. Pourtant, chaque humain, à la base, est le même. On a le même corps, les mêmes cellules... Les seules choses qui changent sont les choses comme la formation, l'éducation, les émotions... L'existence de gens comme Hitler fait partie des choses qui m'intéressent parce qu'Hitler, à la base, n'est qu'un bébé qui tétait sa mère. Pourtant, arrivé à un certain âge, c'est devenu un homme responsable de la mort de 6 millions de juifs et 20 millions d'autres personnes. Je crois à l'existence du Mal avec un grand M, qui peut se réveiller chez n'importe qui, un peu à la façon du côté obscur de Star Wars. Parce qu'au final, la vie, ce n'est pas Disney. Quand on regarde, l'Histoire de l'humanité n'est presque rythmée que par les guerres, les religions qui se massacrent entre elles, les colonisations... L'Histoire, c'est ça.
QN : Après, justement, c'est aussi ce qui fascine. Comment on passe d'un bébé qui tète à un tueur sans pitié. Comment des gens comme Ted Bundy peuvent tuer autant de personne en étant presque le gendre idéal...
PR : Au départ de toutes ces histoires, il y a toujours une fragilité et un parcours de vie qui mène à être mauvais. C'est un cocktail. Il faut une fragilité et un élément déclencheur, comme on peut d'ailleurs le voir au cinéma avec Norman Bates dans Psychose de Hitchcock ou Buffalo Bill dans le silence des agneaux de Demme.
QN : Deux références du thriller en plus... D'autant que Le Silence des agneaux fascine, car tout le monde retient Anthony Hopkins alors qu'il n'apparaît que 15 minutes à l'écran.
PR : Ça va même plus loin que ça. D'abord, Hopkins crève l'écran et l'histoire s'inspire en grande partie de celle de Ted Bundy qui avait voulu devenir profiler. Il a cherché, à un moment, à collaborer avec la police en disant que justement, étant lui-même un tueur, lui seul avait le pouvoir et l'intelligence nécessaire pour arrêter un tueur en série de l'époque. Le roman de Thomas Harris vient en grande partie de cette anecdote. Et puisqu'on en parle, j'ai une autre petite anecdote sur ce film... Dans mon parcours, je me suis retrouvé à côtoyer Bill Hagmaier, qui n'est autre qu'un agent spécial qui a lui-même côtoyé Ted Bundy. Et donc ce fameux agent a servi de consultant pour le film, pour que la fiction soit la plus fidèle à la réalité.
QN : Pour revenir à votre côté auteur, vous avez des échéances imposées par votre maison d'édition?
PR : Actuellement non. Quand j'étais écrivain fantôme, oui. Mais parce que c'étaient des auteurs connus dont les sorties étaient déjà planifiées avant même d'être écrites. Mais chez Cosmopolis, non. D'ailleurs, mon prochain roman devait paraître courant de ce mois-ci, mais on a choisi de décaler la sortie pour la rentrée littéraire, et de sortir Amnésia en poche. Mais ça, c'est uniquement parce que j'ai une relation exceptionnelle avec Loïc, que j'ai très rarement eu avec d'autres directeurs littéraires.
LDS : En tant qu'éditeur, on a deux manières de travailler. La première, c'est de donner une date et de faire impérativement paraître le livre à cette date-là. Je suis plutôt adepte de la seconde. D'abord, je dis "oui, on veut le livre" et on commence le travail dessus. Et c'est uniquement quand il est prêt qu'on fixe une date de sortie. La dernière rentrée littéraire, on a couru après des auteurs jusqu'à la dernière minute, à grand coup de nuits blanches. Ça, je ne le referai plus. Maintenant, on prend le temps, de travailler un livre. On en a toujours 4 ou 5 en chantier. Et seulement quand j'estime qu'il est prêt, je l'envoie au maquettiste. Il y aura de toute façon toujours des retouches à faire. Mais une fois au service des maquettes, là seulement, on fixe une date. Et avec tout ça, on travaille beaucoup plus sereinement et ça permet de vraiment mettre le livre au point.
QN : Qui se charge de la quatrième de couverture ?
PR : Pas moi ! Parce que je suis incapable de faire un résumé de mes livres. Je préfère écrire 500 pages que rédiger 2 paragraphes.
LDS : La quatrième de couverture, c'est l'équipe éditoriale qui s'en charge. Chez Cosmopolis / Ring / La mécanique générale, c'est moi qui lis les livres. Donc je prépare le résumé et la petite biographie de l'auteur. David passe ensuite pour mettre son génie particulier, qui va donner du punch à l'ensemble.
QN : Et les clips?
LDS : On a un réalisateur, la voix off et le même mode de fonctionnement qu'avec les livres. C'est-à-dire que je fais le pitch en racontant un peu ce qu'il se passe dans l'histoire, le réalisateur fait un premier jet et ensuite on le retravaille autant de fois que nécessaire. L'objectif est toujours d'avoir quelque chose de cohérent par rapport au livre et à sa vision commerciale. Par exemple, avec Pierre, sur la vidéo d'Amnésia, il y a un passage avec une petite fille. Cette partie était très différente, au départ, donc il y a eu pas mal de retouches pour que ça colle au texte. Mais quoi qu'il en soit, aucune vidéo ne sort sans l'aval de l'auteur. Ring a été le premier à importer en France le concept des trailers pour livre et ça a toujours été en collaboration avec l'auteur.
QN : Et comment vous prenez les critiques négatives ?
PR : Vous savez, je suis comme tout le monde, il y a des auteurs que je ne supporte pas, alors qui suis-je pour critiquer ceux qui me critiquent. Si la thématique ne plaît pas, évidemment que ça va me toucher, mais je reste bien conscient que je ne peux pas faire l'unanimité.
LDS : De mon côté, je fais partie des éditeurs qui considèrent qu'une fois le roman paru, il ne nous appartient plus. Je ne vais pas me fâcher avec une critique qui descend le livre, sous réserve évidemment que la critique soit justifiée. Je suis également critique littéraire et j'ai, deux fois, tapé sur Amélie Nothomb en justifiant mes positions. J'ai été blacklisté. Mais si c'est justifié, je ne vois pas de raison de me disputer avec qui que ce soit, je suis totalement ok avec ça.
QN : On arrive bientôt à la fin, une petite actualité pour finir ?
LDS : Une petite exclu sur le nouveau de Pierre, qui s'appelle Nuit américaine qui arrivera en septembre de cette année.
PR : Ce livre, je l'ai décomposé en 3 parties pour faire revivre 3 époques. On est dans du Sergio Leone, du néo-réalisme italien, le renouveau d'Hollywood... J'ai surtout pris comme base l'histoire de la mafia avant l'arrivée des cartels... La première partie, c'est l'ambiance telle qu'on la retrouve dans Le voleur de bicyclette par exemple. La seconde partie, c'est typiquement du roman noir américain et dans la troisième, on voyage à la renaissance d'Hollywood.
LDS : Et pour faire un peu de teasing, il y a eu 3 jets de ce manuscrit et il y a une scène par laquelle, chaque fois, je me fais avoir. Je me dis que ça va passer, que je connais et chaque fois, je suis plutôt à me dire "purée, il fait chier, il m'a encore eu". Et la sortie est donc prévue pour mi-septembre.
PR : Et en tout dernier mot, je voulais vous remercier. Rien ne fait plus plaisir à un auteur que rencontrer son lectorat et avoir un feed-back, positif ou négatif. Vous avez été beaucoup à avoir lu et aimé Amnésia et c'est très agréable de voir ça. Si vous voulez refaire une visio, ce sera avec grand plaisir !
Et voici le jeu du portrait chinois auquel Pierre Rehov a bien voulu se prêter avec nous :
Et si tu étais...
...un animal ? Un cheval ...un livre ? L'éthique de spinoza. Et le livre qui m'a fait rêver pendant mon adolescence A l'est d'éden de Steinbeck ...une chanson ? La Bohème ...un réalisateur ? Stanley Kubrick ...un acteur ? Matthew McConaughey ...un film ? Il était une fois l'Amérique
...une citation ? "Là où je suis je dois advenir"
...un personnage de fiction ? Hannibal Lecter ...un pays ? Israël ...un instrument de musique ? Violon ...une saison ? L'été ...un serial killer ? Ted Bundy ...une mort ? Une balle dans la tête ...une torture ? Torture chinoise des milles coupures ...un thriller ? Le manufacturier ...un roman policier ? San Antonio ...un monstre imaginaire ? Une goule ...une arme ? Bombe atomique
Visio-délires
(Cliquer sur les images pour les agrandir) ©Le Suricate
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